le Dimanche 8 décembre 2024
le Jeudi 9 mars 2023 7:50 Chroniques

De ces femmes à contre-poil

Emilie et tous ses poils, au naturel. — Photo : Emilie Major-Parent
Emilie et tous ses poils, au naturel.
Photo : Emilie Major-Parent
Le grand thème de la diversité corporelle est sur toutes les lèvres, prônant l’acceptation des corps tels quels. Pourtant, il est ardu pour plusieurs femmes d’ignorer les diktats de la mode véhiculant les standards à adopter pour être féminine. Malgré les progrès positifs dans certains médias, on ne voit toujours pas de femme poilue dans la sphère publique.

Épile-toi parce que… parce que.

Une étude américaine réalisée en 2021 sur l’image corporelle révèle qu’environ trois personnes sur quatre pensent que l’univers de la mode a un impact négatif sur la perception de soi et que les médias véhiculent un idéal corporel inatteignable pour les femmes. Le poil a de particulier qu’il brille par son absence dans cette image du corps féminin parfait.

Dans l’Abécédaire du féminisme, sous le terme épilation, on apprend qu’une femme passera en moyenne 58 jours de son existence à se débarrasser de ses poils indésirables et dépensera jusqu’à 25 000 $ pour y parvenir. Malgré ces chiffres, la perte de temps et d’argent ne seraient pas des facteurs de motivation assez puissants pour qu’elles abandonnent l’épilation. Ces valeurs creusent encore plus le fossé de l’égalité des genres, puisque les femmes perdent déjà l’équivalent de 55 jours en tâches domestiques par année que les hommes n’assument pas et gagnent seulement 0,89 $ pour chaque dollar gagné par un homme.

Selon une étude réalisée par Ipsos-Reid sur l’épilation des femmes canadiennes, 68 % disent que ce qu’elles aiment le plus du rasage de leurs jambes est le look, suivi de la sensation (59 %). Enfin, une femme sur trois affirme que de raser ses jambes est ce qui est attendu d’elle, juste une de ces choses que la femme doit faire. L’image idéalisée du glabre féminin est donc profondément enracinée dans les mœurs et la culture, si bien que plus de 80 % des femmes qualifient le rituel dépilatoire de tâche désagréable, mais l’estiment essentiel à leur routine beauté. La pratique devient alors une contrainte imposée implicitement qui s’apparente drôlement à la soumission, même si 7 personnes sur 10 affirment que la beauté est subjective.

Poils, poils, poils

Un sondage américain réalisé par YouGov, une firme de recherche et d’analyse de données, nous en dit plus sur la façon dont les femmes poilues sont perçues : une personne sur deux déclare que les femmes ayant du poil sur la lèvre supérieure ou aux aisselles devraient l’enlever.

Près de 60 % qualifient de repoussantes les femmes aux jambes poilues. En ce qui concerne les poils pubiens féminins, les préférences de style varient, mais la coupe taillée, entretenue (trimmed) est celle qui l’emporte (52 %), suivie de la coupe bikini (41 %). Le pubis entièrement rasé est la préférence de 38 % des personnes sondées : les résultats de cette préférence particulière varient nettement en fonction du sexe des répondant·e·s. En effet, ce sont 50 % des hommes contre 27 % des femmes qui disent aimer ce style sur le corps de la femme. Environ deux femmes sur cinq (38 %) n’aiment pas du tout l’épilation intégrale de cette partie de leur corps, un contraste notoire.

Je ne peux m’empêcher de faire un certain rapprochement justifié entre cette préférence marquée par la gent masculine et les pubis glabres féminins majoritaires du monde pornographique qui sexualisent des organes génitaux d’apparence prépubère. Dérangeant? Oui!

Le poil des femmes fait donc encore jaser, malgré les progrès faits ces dernières années pour le banaliser. Quoi qu’il en soit, j’aime me rappeler que ce qu’on voit une fois choque, mais ce qu’on voit mille fois transcende la simple tolérance et normalise les pratiques. À l’heure actuelle, l’omniprésence du modèle de la femme épilée intégralement est toujours majoritaire dans cet univers médiatique qui change au compte-gouttes. Mais il change, cet univers, un poil à la fois.

Emilie Major-Parent est responsable des communications pour l’organisme Les Essentielles.