J’aimerais m’écarter un peu des définitions de genre et de mes fils de pensée habituels pour vous parler d’un siècle que j’adore. Une période étonnamment fertile en inventions, en renouvellement des idées et en peintures pleines de nuages : le dix-neuvième siècle.
À ce moment-là, le monde entier est en pleine ébullition.
Des conquêtes de Shaka Zulu dans ce qui va devenir l’Afrique du Sud à la guerre de Sécession en passant par la rébellion des patriotes au Québec, c’est une effervescence qui va toucher toutes les sphères de la société.
En art, cette effervescence se manifeste dans le courant du romantisme, un mouvement se concentrant entre autres sur l’exaltation des émotions, la grandeur du rôle de l’artiste et un rejet des règles ainsi que des thèmes dits « classiques ».
Le dix-neuvième siècle a donné naissance à une foule d’écrivains dont les noms sont tout aussi sacrés que ceux des douze apôtres du Christ. Victor Hugo, Gustave Flaubert, Honoré de Balzac, Baudelaire, Alfred de Musset et j’en passe. Pourtant, je n’ai pas vraiment envie de parler d’eux. Des dizaines de cours de littérature de l’école secondaire à l’université s’en chargent très bien.
Dans un esprit romantique de rejet des règles, j’aimerais vous jaser des auteurs de l’ombre. Les deuxièmes violons qui sont trop souvent enterrés par une section trompette un peu trop motivée. Ce sont donc ces gens-là que je veux révéler.
Le Fantôme de l’Opéra, ça vous dit quelque chose? C’est souvent associé à un musical transformé en film, mais l’histoire originale a été publiée par Gaston Leroux en 1910. Leroux est un type qui a tendance à passer sous le radar à cause de ses histoires atypiques.
Il manie la figure du monstre avec une sensibilité qui n’est pas sans me rappeler Guillermo Del Toro. Pour lui, le monstre n’est que le résultat de la misère et de l’intolérance. Si vous voulez des histoires génialement tordues préfigurant les réflexions philosophiques de la science-fiction moderne, foncez. Leroux fabrique des contes avec des androïdes assassins, que demander de plus?
Octave Crémazie est relativement connu au Québec, car il a donné son nom à une station de métro. Il porte aussi le titre de poète national, mais ce n’est pas de sa poésie que je veux parler. Loin du vieux sage perdu dans son univers, Crémazie est lui-même presque sorti d’un roman.
Libraire criblé de dettes par ses goûts luxueux, il va fuir ses créanciers en s’exilant à Paris. Tombant de Charybde en Scylla, le pauvre s’installe dans la capitale quelques mois avant qu’elle soit encerclée par les forces prussiennes en 1870. En résulte alors le journal d’un poète qui laisse de côté le nationalisme pour véritablement s’amuser.
Un siège est une chose grave et dangereuse, mais Crémazie y découvre des pépites d’absurdité comme les bévues de la garde nationale ou la girafe cuite offerte aux bourgeois affamés. Le tout avec un ton bourré jusqu’aux cils de sarcasme. Vous pouvez le trouver dans ses Oeuvres complètes en ligne sur le site de la Bibliothèque nationale du Québec.
Cependant, le dix-neuvième siècle n’est pas que masculin. On retrouve de nombreuses femmes à la plume acérée. Parmi elles, une voix de mon enfance, la Comtesse de Ségur. Autrice pour la jeunesse, elle s’est rendue célèbre pour Les Malheurs de Sophie. Un livre qui peut sembler gentillet, anodin. C’est de la littérature jeunesse quoi. Pourtant, elle énonce des idées révolutionnaires quant à l’éducation des enfants.
La protagoniste, une petite fille du nom de Sophie, doit composer avec une belle-mère cruelle, Madame Fichini. Coups de fouet, jeûnes punitifs et gifles font partie de son quotidien. Un jour, la Fichini doit partir pour un voyage et laisse Sophie aux bons soins de sa voisine, Madame de Fleurville, une veuve aux manières douces qui refuse toute forme de violence.
La Comtesse de Ségur, au travers de ses livres, condamne le châtiment corporel incarné par Madame Fichini. Pour une époque où la mode en matière d’éducation se résume aux claques, elle milite pour un soin ferme, mais aimant.
Je pourrais en mentionner une tonne d’autres. Laure Conan, fer de lance de l’écriture féminine au Québec ou bien Madame Swetchine qui tenait l’un des salons les plus estimés de Paris et dont la correspondance nous donne une vision précise des manières du siècle.
Je veux finir avec une femme des plus humbles origines qui n’est même pas considérée comme une écrivaine : Sœur Thérèse de l’Enfant Jésus, aussi connue sous le nom de Sainte Thérèse de Lisieux. Cette religieuse française appartenant à l’un des ordres les plus frugaux s’est fait connaître après sa mort avec la publication de L’Histoire d’une âme. Un recueil de trois manuscrits de récits autobiographiques parlant de son enfance, sa relation avec Dieu, sa vie au couvent.
Au travers des pages, c’est une théologie de l’amour simple qui transpire. Au dix-neuvième siècle, l’idée de la sainteté (d’être le plus proche de Dieu) est souvent associée à des nuits d’insomnie, à des jeûnes qui n’en finissent plus, des souffrances où l’on termine la langue à terre.
La petite Thérèse parle d’une voie toute simple, faite de petits gestes d’amour désintéressés qui sont la clé d’une vie heureuse et véritablement remplie. L’abnégation, la douceur, la compassion. Même si beaucoup ne croient pas en Dieu ou ne sont pas catholiques, ce livre reste tout de même un objet de fascination de par sa simplicité.
Aujourd’hui, elle est considérée docteure de l’Église, c’est-à-dire que l’Église catholique la reconnaît comme l’une des plus grands intellectuels en matière de science de la foi. Tout en haut avec des penseurs célèbres tels qu’Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin.
Comme quoi, on ne sait jamais qui sera retenu par l’histoire avec un grand H. Qui sera présenté comme un génie ou restera dans l’ombre de l’anonymat? Combien de personnes illustres ont marché sur la Terre sans que l’on se souvienne de leur valeur…