Je n’ai jamais cru à l’efficacité des systèmes politiques pour contrer les pires instincts de l’humanité. Le communisme n’a pas fonctionné, le capitalisme se base sur une pensée à court terme qui détruit l’humain et la terre, et la démocratie dort au gaz, embourbée dans une technocratie terrifiante.
Ça manifeste à tout va en s’enchaînant à des bornes-fontaines ou des grillages, mais j’ai l’impression que ce ne sont que des cris dans le vent et que ces cris n’atteindront jamais le cœur de ceux à qui ils sont destinés.
Ben là Laurence, qu’est-ce qu’on fait? La Terre meurt, des femmes sont traitées comme des pièces de viande, des hommes sont enfermés dans des exigences machistes stupides, des gens sont condamnés à l’exclusion sociale parce qu’ils prient ou que la couleur de leur peau fait peur. Qu’est-ce qu’on va faire? On se plante la tête dans le sable en attendant que tout pète?
Il faut relire Dostoïevski : « L’art sauvera le monde. »
Je sais ce que tu peux penser : « Elle est perdue dans ses nuages, dans son monde de Calinours. Une artiste déconnectée de la réalité. »
Je suis née en 1996, à la fin de toutes les illusions sociales ou politiques. Quand l’Amérique du Nord en entier a remisé sa pancarte de revendications pour se retirer dans son coquet bungalow de banlieue avec son labrador et sa BMW, avec les rêves de justice et de solidarité endormis dans un chalet au bord d’un lac.
On m’a mitraillé le cerveau d’images de tours qui s’effondrent, d’inondations, d’enfants sacrifiés à l’autel de la détresse humaine. Ma génération est devenue cynique, un peu détachée à force de se faire bombarder de misère et à entendre ses aînés dire que le gouvernement ne fait rien. Face aux grandes questions de la vie, on nous a poussés devant la télévision, espérant que l’on allait trouver la sagesse en conversant avec les Pokémon.
Je dois admettre que je me suis très tôt sentie accablée en voyant la pauvreté, l’imminence de la sixième extinction de masse et les injustices grandissantes. Surtout de voir que ceux et celles qui nous dirigent ne font que promettre sans vraiment poser de gestes concrets.
C’est en lisant la trilogie du Seigneur des anneaux que j’ai commencé à entrevoir un peu d’espoir. Tolkien n’a pas eu une vie des plus roses. Il a connu la désillusion de la guerre, vivant l’enfer de la Somme. Ses exégètes perçoivent le souvenir du N0 man’s land dans la description du Mordor, dans la manière avec laquelle il insiste sur le fait que c’est une terre aride où rien ne pousse.
Pourtant, le père de la fantasy ne s’étend pas uniquement sur le malheur de ses personnages. Ses écrits sont remplis de lumière. Il présente au grand jour la beauté des petits gestes, de la générosité silencieuse et du courage face aux impossibles.
Je me suis lancée à fond dans la littérature fantastique, allant même jusqu’à en écrire. Un jour, j’oserai peut-être publier mes milliers de pages sur les aventures de Soren Talson, le loup de Syras.
Je veux me battre pour les Calinours! Je veux faire aimer les elfes, les batailles épiques contre des maîtres du mal, la victoire de l’humilité contre ceux qui croient en la suprématie de l’arrogance.
Si j’arrive à allumer l’espoir dans la grisaille d’une âme triste, je pourrai mourir en paix.
Je veux croire que la fantaisie, les contes, les farfadets ont encore leur place ici et pas que pour les enfants. Ça m’énerve ce discours qui assène qu’être adulte, c’est rêver d’une semaine à Punta Cana ou d’une augmentation de salaire. Les adultes ont besoin de magie, eux aussi; ils ont besoin d’espoir.
Alors, je vous invite à la futilité. Une fois de temps en temps, prenez une minute pour regarder le ciel et imaginer une machine volante. Achetez-le ce chapeau à plume dont vous rêvez depuis votre enfance. Trouvez un bibelot atrocement kitsch et déposez-le sur une étagère. Au diable Marie Kondo et son minimalisme, il faut respirer un peu. Peignez, sculptez, faites un dessin dans le cahier à coloriage de votre poussinette de trois ans.
Je réécris Dostoïevski : « L’art et les Calinours sauveront le monde. »