Je ne crois pas aux pics anthracite découpés au couteau qui se trouvent sous mes yeux. Tranchants, hostiles, je les observe depuis quinze, vingt minutes. Sur photo, j’avais trouvé les montagnes rocheuses jolies, mais aujourd’hui, je suis saisie par leur grandeur et leur caractère. Cet après-midi, installée au pied du mur infranchissable qu’elles forment, je les trouve aussi grandioses que mystérieuses Tombstone
Il faut avouer qu’elles portent bien leur nom, ces montagnes de pierre. Pierres tombales. Elles sont tout, sauf invitantes. « Vous ne passerez pas! », que je les entends déclarer à l’unisson. Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qui se cache derrière. Un lac? Une vallée? Un ciel de montagnes?
Je dois y aller, il faut découvrir ce qu’il y a derrière. Les Tombstone comme un Frigidaire antique, et moi, un petit aimant qui n’y peut rien et qui ne veut pas décoller, tout magnétisé qu’il est par le pouvoir d’attraction du géant. Aller voir ce qu’il y a derrière.
On monte le camp, pendant que Meeko, notre compagnon canin, fusionne avec la fine mousse qui couvre le sol de la toundra subalpine. Fin d’après-midi, jour de Saint-Jean-Baptiste, nous avons atteint le camp au terme d’une randonnée exigeante de douze kilomètres sous un ciel sans nuages et une chaleur impressionnante pour cette latitude. Notre tente rejoint celles d’une dizaine d’autres campeurs déjà installés. Je lève les yeux : choc. J’avais oublié où je me trouvais pour un instant. Et je retombe dans la contemplation. Le mont Monolith me défie. Découvrir ce qui se cache derrière.
Les autres randonneurs discutent de leurs rencontres avec des animaux sauvages. Beaucoup de marmottes et de spermophiles arctiques, communs dans le Nord… plutôt banal. Enfin, pour quiconque ne se déplace pas avec un chien en laisse. « Avez-vous vu le grizzli? » Apparemment, il nous est passé sous le nez. Étonnant. Pas le grizzli; nous sommes à Grizzly Lake. Étonnant que Meeko ne l’ait pas senti. Ce devait être un ours ninja ou alors Meeko est vraiment inutile… je choisis la première option. Car Meeko a le mérite d’avoir transporté deux cannettes de Kokanee dans son petit sac à dos… denrée précieuse et contribution canine non négligeable.
Jour 2. Des téméraires vont poursuivre leur aventure par-delà une zone avalancheuse, jusqu’à Divide Lake, le deuxième des trois camps aménagés dans l’arrière-pays. En mode vacances, nous resterons ici. Nous explorerons les environs du camp, le dos libre de poids et le pas léger. Bonheur pittoresque.
Nous grimpons le flanc de la montagne. Les mollets sont sollicités, c’est le moins qu’on puisse dire. Une heure et demie de montée à pic plus tard et on atteint la crête. De l’autre côté, ça descend aussi raide. La crête est mince, mince. Vue à 360 degrés. Époustouflant. De petites roches qui s’effritent et qui dégringolent… petit vertige.
Ne manger que le strict nécessaire pour calmer l’appétit. Chaque bouchée est calculée, jusqu’à la Clif Bar que nous diviserons en quarts. Chaque collation fait l’objet d’une discussion et est consommée d’un commun accord. Nous n’avons emporté aucun extra… ni même de chocolat! Oups — pas de papier de toilette non plus. En bons Yukonnais, on ne s’en fait pas trop. Et puis, il y a toujours la deuxième bière qu’on n’a pas encore ouverte… on pourrait tenter de la troquer contre quelques carrés de papier! Ah, et puis non. On garde la bière, on utilisera des feuilles.
Petite sieste au retour de notre escapade. On ne fait pas rien, on s’oxygène le cerveau! Le temps n’a plus d’importance. Avec cette clarté, jour ou nuit, c’est le corps qui décide.
Jour 3. Je sirote ma poche de thé réinfusée de la veille. Pour déjeuner, quatre à cinq bouchées de gruau chacun, avec — soyons fous — une barre Val-Nature fondue au travers. Un vrai festin.
Nos sacs sont plus légers. On lève le camp avant que la faim reprenne. Et puis, on a plus de bières dans l’auto! Petit bonheur, ça nous motive.
Au revoir, Grizzly Lake!
Comment s’y rendre?
Grizzly Lake est situé au cœur du parc territorial Tombstone. Pour y camper, il faut obtenir un permis de camping dans l’arrière-pays (Backcountry camping permit, 12 $/tente). On peut le réserver en ligne ou en acheter un sur place le jour du départ au Centre des visiteurs (quantités limitées, premier arrivé, premier servi). La randonnée pour s’y rendre est cotée difficile. À titre d’exemple, nous l’avons fait en six heures, par beau temps.
Quoi apporter?
Il faut être bien équipé avec des bottes de marche, un filtre pour l’eau, du gaz poivré et un contenant à l’épreuve des ours. Ce dernier est obligatoire pour pouvoir camper dans l’arrière-pays. On peut en emprunter un au Centre des visiteurs, moyennant une consigne.
Infos supplémentaires
• Les campings d’arrière-pays de Tombstone ouvrent relativement tard dans l’été. (Nous y étions pour l’ouverture, le 24 juin 2016 — la date change chaque année selon les conditions.)
• Informez un ami de votre itinéraire avant de partir (il n’y a pas de réseau cellulaire dans le parc). Le parc n’est pas responsable d’entamer les recherches de sauvetage. S’il devait vous arriver quelque chose, à moins que vous n’ayez emprunté un contenant à l’épreuve des ours, personne ne le saurait… C’est donc très important d’informer un ami (ou la GRC) de votre itinéraire et de la date et l’heure à laquelle vous envisagez de revenir et donner des nouvelles à votre contact. Entendez-vous à l’avance sur la marche à suivre en cas de pépin.
• Les règlements du parc peuvent vous sembler sévères (ex. : il faut mettre la nourriture dans un contenant à l’épreuve des ours, rangé dans un garde-manger), mais ils existent pour protéger les espèces (et les futurs randonneurs). Respectez-les!
• Le camp est muni d’espaces pour cuisiner, de toilettes sèches (pas de papier!) et de contenants pour recueillir les eaux usées. Il est situé dans un écosystème fragile qui a été mis à rude épreuve au cours des dernières années en raison du nombre croissant de visiteurs. Prenez soin de ne laisser aucune trace!
• Le parc Tombstone est l’une des icônes les plus importantes du Yukon et avec une bonne préparation, il fera assurément partie de vos coups de cœur. Amusez-vous bien!
Établie au Yukon depuis quatre ans, Émylie Thibeault-Maloney est une traductrice passionnée de voyages actifs, de langues étrangères et de plein air. Découvrez le récit non censuré de ses aventures sur son blogue. Vous pouvez également la suivre sur Facebook et sur Instagram.