Je me demande bien pourquoi, mais j’ai beaucoup cette vieille chanson de Garolou en tête ces jours-ci.
Mais il y en a une autre qui ne me quitte presque jamais. Elle colle à la peau comme si elle m’était sortie des pores. Déjà le titre « highwayman »; il définit en quelque sorte la majeure partie de ma vie, mais pas que!
Je me suis aussi reconnu dans les paroles. Les chapitres de vie y étant décrits ne font pas vraiment dans la piété puritaine. C’est plutôt un parcours à travers les temps où le type perd sa vie après jugement humain ou divin pour avoir emprunté des sentiers hors des normes tracés par les sociétés bien rangées.
Chaque couplet décrit une existence aux allures extrêmes. Ça se termine toujours par sa mort, mais il vit encore, encore et encore.
Finalement, c’est une chanson qui parle de rédemption et de réincarnation. Vous l’écouterez. Cette chanson a été écrite à l’origine par un chanteur des années 70 appelé Jimmy Web. Elle fut reprise par les quatre grands du country (Johnny Cash, Kris Kristofferson, Waylon Jennings et Willie Nelson). Pour ma part, je l’aime tellement que j’en avais entrepris une traduction. Ou plutôt une adaptation. Dans un des couplets, la chanson parle d’un travailleur œuvrant à la confection du Hoover Dam. Pour ma version, j’y suis allé de mon vécu. Ça va comme suit :
Je bâtissais
des barragesdans les montagnes
du Grand Nordlà où se marient
l’eau et l’orau bout du monde dans
un lieu appelé KlondikeLa falaise s’est écroulée
et m’a fait disparaîtreTout cet amas de pierres
devint mon cimetièreMais je suis
toujours autourJe le serai toujours
Ce barrage n’est pas une invention. J’ai réellement travaillé à sa conception. Devinez de quel barrage je parle. Yes! Vic gold. On était fier. On mettait en place les infrastructures pour l’extraction du plus gros gisement ayant nourri le Klondike. La veine mère. On renouvelait le Klondike. Participant à sa conception me rendait immortel en quelque sorte. Chauffer ce mastodonte, me légitimait. Honnêtement, je ne comprenais pas trop quel était mon travail à part emmener un voyage de gauche à drette. Jusqu’à cette phase comme ils aiment bien les appeler. J’ai fini par comprendre qu’on bâtissait un barrage. Un barrage dans le haut de la montagne. Ça ne se pouvait pas. C’était du jamais vu.
À mesure que le barrage montait, grimper jusqu’au niveau suivant avec nos 100 tonnes devenait de plus en plus rock’n’roll. C’était à se demander à quoi servaient ces meetings de sécurité chaque matin. Malgré tout, quand je retournais à lège pour charger un autre voyage, en regardant au bas, je ne pouvais m’empêcher du haut de ce panorama de me questionner sur la menace d’implanter un lac si haut et exactement vis-à-vis le campement un bon 300 mètres plus bas.
De plus, après avoir appris que ce lac empli de divers produits chimiques (on restait vague sur leurs composantes) décanterait l’or du reste de la roche, des images catastrophiques m’apparaissaient. Je ne pouvais m’empêcher de voir ce barrage exploser et envahir d’une traite la vallée et engloutir le camp d’un liquide visqueux empoisonné. Bien sûr, on affirma avoir tout prévu en construisant un bassin de rétention plus bas au cas où; hypothèse totalement farfelue, le barrage cèderait. Parce que tous les calculs avaient été effectués rigoureusement. Mon opinion d’ignorant en ingénierie minière ne pesait pas lourd dans la balance. Pire. Une entreprise minière n’étant pas un gouvernement élu par le peuple. On y craint par-dessus tout la réprobation sociale. Il y a donc zéro tolérance pour les aptitudes récalcitrantes. Ça risque de contaminer tout le panier comme une pomme pourrie. Alors, on ne s’éternisait pas sur le sujet. Pis l’excavation tira à sa fin et on nous annonça au meeting de sécurité du matin que c’était notre dernière journée. Bye bye! Pas plus long que ça. Je suis retourné à ma vieille maitresse la « Dempster ». Elle m’a toujours été fidèle contrairement à moi qui, faut bien l’avouer, je l’ai trompée à quelques reprises à la recherche d’un grand frisson comme cette mine ou de quelque autre rêve ou fantasme finalement avorté.
Contrairement à certains, je m’en tirais bien. Pour beaucoup, pas tant qualifiés, ce fut un rêve mort dans l’œuf avant même d’éclore. Pour d’autres, malgré leurs compétences comme super opérateurs, les gros projets de ce genre étant rares, ils durent s’expatrier. Comme on dit : « C’est le Yukon! »
Pis le temps a passé. Jusqu’à ce qu’on arrive à cette année. Qu’est-ce qui est arrivé au début de l’été? Eh oui! Nos craintes de Ti-coune innocents se sont finalement réalisées. Ce barrage a cédé. Du même souffle, j’ai finalement compris que le produit principal de ce lagon infernal était nul autre que l’agent de la mort elle-même, la cyanure. Et là, elle coulait librement dans tous les cours d’eau environnants.
Je ne suivais plus la situation de près depuis un bout. Mais un de mes amis (dont je tairai le nom) le faisait. Il m’a confié que ça se savait que ça s’en venait. D’ailleurs, une de ses fonctions consistait à aller à intervalles réguliers pomper cette espèce de sauce gluante et nauséabonde qui fuyait. Malgré les avertissements du gouvernent, la compagnie faisait la sourde oreille. Le même ami me confiait que dans les derniers temps, plus ça allait plus la compagnie coupait dans à peu près toute maintenance et infrastructure. Ça allait jusqu’à des retards de livraison de carburants pour défauts de paiements.
Est-ce qu’ils commençaient réellement à manquer d’argent ou la direction, étant au premier rang pour voir ce qui s’en venait, aurait plutôt préféré se concentrer sur la manière de cacher ses billes?
Mais qu’est-ce que j’en sais? Même si j’ai déjà œuvré à Plaza Gold, United Hearn, Cassiar, toutes fermées depuis et quelques autres mines du genre ou placer encore ouvertes que je m’abstiendrai de nommer. Même si j’ai presque trop souvent vu de ces scénarios tordus s’échafauder, je ne suis tout compte fait encore et toujours qu’un ignorant en ingénierie minière. Mais je dois reconnaître quand même que tout ça m’a inspiré. L’avidité pour moi est la principale responsable et le pire des abus environnementaux et sociaux. Dans mes écrits (entre autres comme « le malin de l’Eldorado »), ce vice est représenté par la recherche de l’or. L’inspiration n’est pas dure à trouver. De tous les temps, des conquistadors espagnols à Jacques Cartier. De la toute première pépite découverte sur le territoire, en commençant par George Carmack lui-même, jusqu’à aujourd’hui, l’histoire de l’or est emplie de crosserie et de duperie. C’est le cas de le dire, tant qu’il y aura de l’homme, il y aura de l’hommerie.