Trop de pression sous la calotte terrestre provoque un séisme causant des milliers de morts en Syrie et en Turquie. Trop de pression sous la calotte des mémoires et des traumas humains provoque aussi des tragédies dans des écoles, une garderie, des tueries de toutes sortes.
Puisqu’on n’a pas le choix de pardonner à la terre ses humeurs géologiques, ne pourrait-on pas développer cette même sagesse envers les personnes? Se pourrait-il que le pardon agisse en amont de nos surcharges irrationnelles pour désamorcer véritablement nos tremblements intérieurs? Nos histoires de pardon sont loin de se vivre en toute facilité, et les conseils peuvent se révéler bien inutiles tant que la sagesse n’a pas réussi à se tracer un chemin dans notre propre expérience.
« Rancune et colère, voilà des choses abominables où la personne humaine est passée maître. Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la guérison? Ne garde pas de rancune envers le prochain, et sois indulgent pour qui ne sait pas ».
Le pardon refusé fait souvent bien plus de tort à celui qui le retient qu’à la personne qui a pu causer ce tort. Le refus de pardonner se compare à marcher avec un boulet que l’on traine péniblement et qui nous garde dans la déception, la trahison et l’amertume. Le boulet peut être rempli tantôt de colère ou de rancune, tantôt de mépris ou de rage.
Trainer notre boulet, c’est bien souvent le reflet de cette frustration de ne pas avoir été respecté ou reconnu par la personne qui nous aura blessé. Nourrir de la colère contre une autre personne empêche alors la guérison. Se détacher du boulet que l’on traine, lui remettre son péché, c’est par conséquent reprendre notre valeur pleine et entière. C’est découvrir que nous valons plus que le mal qu’on nous a fait, et offrir à la confiance un nouveau souffle de guérison.
Se libérer du paquet rempli de notre blessure, ce premier pas dans le pardon, nous ouvre alors à la reconnaissance de la blessure de l’autre. À se regarder vivre, nous devons admettre qu’on ne fait pas du mal parce qu’on est méchant, mais bien plutôt parce qu’on a mal. Garder rancune aveugle notre jugement. Se pourrait-il que la personne qui nous a causé du tort porte en elle une blessure encore plus grande que celle qu’elle nous a faite? Des violences physiques, sexuelles ou psychologiques vécues dans le passé peuvent s’exprimer par bien des gestes, des jalousies, des envies, comme l’écho d’une souffrance non résolue qui continue de faire des ondes de choc dans nos relations. Mieux se connaître personnellement nous aide alors à mieux comprendre notre « semblable », et facilite le pardon. « Sois indulgent pour qui ne sait pas »!
Ultimement, sagesse nous invite à emprunter trois regards plutôt qu’un devant la rancune qui empêche le pardon. D’abord, porter un regard sur ma propre blessure, celle qui me garde vulnérable à toute offense ou toute attaque : me guérir de mes blessures m’aidera à exprimer ma souffrance apprivoisée autrement qu’en faisant du mal pour me faire entendre ou pour me faire justice. Deuxièmement, la Sagesse me donne la capacité de voir mon semblable dans sa propre blessure : le connaître jusque dans les jardins secrets de son histoire favorisera la compréhension de ses comportements et de ses gestes. Enfin, elle me donne le regard du Christ lui-même qui nous interpelle à risquer avec lui son ultime prière : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 34). Le carême s’offre à nous pendant les prochaines semaines pour justement prendre ce beau risque du pardon. Puissions-nous désamorcer nos tremblements intérieurs pour retrouver une paix profonde avec soi et avec les autres.