Plus que des souvenirs évoquant le passé, les mémoires ont cette capacité de raviver l’essence même des événements ou des personnes disparues qui ont marqué notre histoire.
Je me rappelle cette personne âgée qui se plaisait à me dire : « Une personne n’est jamais morte tant que quelqu’un en fait mémoire dans sa propre vie. » Lui-même en fin de vie et souffrant de solitude, il se remémorait un ami d’enfance qu’il avait connu. Soixante-dix ans plus tard, il le gardait en vie.
J’imagine que ce qu’il cherchait à me dire, c’est quelque chose qui le concernait : « Tant que tu feras mémoire de moi, je ne serai pas mort. » La couverture de laine qu’il m’avait alors offerte quelques jours avant son grand départ me sert aujourd’hui d’aide-mémoire pour le garder vivant.
Nos deuils chevauchent ainsi trois types de mémoires : novembre est là pour nous permettre de les parcourir à notre guise. D’abord, il y a bel et bien la mémoire des souvenirs. Tantôt ces souvenirs nous emprisonnent dans une nostalgie, tantôt elles réveillent des empreintes de bonheurs partagés. Cependant, on doit bien l’admettre, la mélancolie des souvenirs offre bien peu de réconfort quand se profilent les trous de mémoire ou les nuages de l’oubli.
C’est là qu’une seconde mémoire vient à la rescousse : la mémoire du cœur. Celle-ci se revitalise par le réveil des émotions à même un objet, une odeur, un événement ou un lieu qui ressuscite l’amour partagé ou la considération provenant de la personne qui nous a quittés. Faire mémoire de cet amour transforme les sentiments de solitude et d’abandon en espace de mystérieuse communion spirituelle qui nous permet de continuer à recevoir la vie de l’autre, bien au-delà de nos perceptions. La mémoire du cœur ouvre nos sens à reconnaître les multiples clins d’œil d’une présence tout autre.
Là se trouve enfin l’ultime mémoire, celle du corps. Bien que ce soit dans notre corps que nous ressentions le vide d’une absence, c’est pourtant à même notre corps que nous expérimentons l’habitation d’une présence, toute AMOUR, toute faite de CONFIANCE et de FORCE, toute DIVINE.
Une mère ayant perdu tragiquement son fils me partageait son expérience qui, depuis lors, est devenue pour moi source de sagesse et d’enseignement : « Puisque j’ai donné la vie à mon fils, je suis donc toute en lui. Alors, puisque je crois que mon fils habite le cœur de Dieu, je suis donc déjà au ciel avec lui. » La foi en la vie et en l’amour triomphe ainsi de la douleur de notre peine pour nous garder dans une paix surnaturelle, mais bien réelle.
À la veille de son départ, le Christ dit non seulement à ses disciples « je serai pour toujours avec vous », mais plus encore : « Vous ferez cela en mémoire de moi. » L’évocation de sa Parole, le renouvellement du geste d’un pain d’humanité partagé, et vivre selon son esprit de communion et de compassion, ressuscitent les mémoires et nous habilitent à mettre son héritage au monde à même notre propre corps, notre communauté et notre monde. Il en est ainsi pour toute personne qui a partagé nos vies et qui souhaite nous entraîner dans son espace d’éternité.
Novembre nous donne enfin l’espace pour vivre nos deuils au grand jour des cimetières ou des rituels familiaux ou religieux, tel un ascenseur nous véhiculant entre nos trois espaces de mémoires. Transcendons nos souvenirs et faisons mémoire pour espérer toucher cette présence que seul l’amour peut apporter à même l’intime de nos demeures intérieures. Bon mois des VIVANTS!