« Ah! Tu fais de l’art avec de la nourriture? Fais-tu de jolis gâteaux d’anniversaire bien décorés, comme dans cette émission à la télé le samedi après-midi? », me demandent mes tantes et oncles à chaque réunion familiale durant le temps des Fêtes.
Je leur réponds : « Non, pas vraiment, c’est plus un banquet où les gens se rendent compte de comment ils mangent. Je leur donne par exemple de très longues cuillères donc ils font manger leur voisin d’en face. »
Ma réponse rencontre habituellement un sourire incertain, mais bienveillant.
« Ah! Tu es une artiste! Et où pars-tu voyager cette année? », demandent-ils.
« Au Yukon. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre », avouais-je, il y a deux ans.
Qui aurait cru que les terres yukonnaises, qui me semblaient alors si lointaines, sombres et arides, seraient au contraire un berceau fertile pour cet art de convivialité et de renouveau artistique, cet art que je pratique depuis maintenant dix ans? Certainement pas moi.
Un art surprenant de la bouche, au-delà des langues
Oui, le public yukonnais a dépassé mes attentes les plus folles. Non seulement des participants francophones et anglophones sont venus en masse au premier événement Eat Art, mais ils étaient en plus costumés avec une extravagance féroce, que les limitations sanitaires, durant la dernière année, avaient jusqu’ici apparemment bridée. Ils ont le cœur à la fête.
Le Eat Art est un mouvement artistique né à Düsseldorf en Allemagne durant les années 1970. Son grand fondateur est Daniel Spoerri, un artiste suisse-roumain, qui collait au mur les plateaux des tables des clients de son restaurant après leur repas. Cinquante ans plus tard, bien des artistes utilisent la nourriture dans leurs œuvres, mais peu s’y attardent longuement durant leur carrière.
J’ai découvert cette forme d’art au début de ma vingtaine, et le concept ne m’a plus quittée. La nourriture, expérience quotidienne universelle, nous rassemble sous une connaissance, voire une fascination commune. De plus, la performance, mon médium d’expression de prédilection, partage la même nature éphémère que la nourriture. Peu d’aliments peuvent vaincre les ravages du temps, et la performance suit une trajectoire temporelle similaire.
Concrètement, une performance de Eat Art peut prendre plusieurs formes, du banquet participatif à la contemplation d’un performeur solitaire interagissant avec le monde culinaire selon une série d’actions ritualisées. Le Yukon se révèle un terrain de création idéal, de par l’enthousiasme inhérent à ses foules et ses institutions. Cela est sans compter le lien fort entre la terre où vivent les Yukonnais.es et les ressources qui s’y trouvent, plantes et animaux, via la chasse, la pêche et la cueillette.
Et maintenant, qu’est-ce qu’on se met sous la dent?
Le prochain événement Eat Art est prévu, le dimanche 18 avril 2021. Ce sera un brunch performatif, sous le thème de la nourriture dans le monde onirique et déroutant des rêves.
Pour plus d’informations : fb.me/e/dsyXi9TBI