Andréanne Joly et Maryne Dumaine
La reine Elizabeth II s’est éteinte le 8 septembre dernier, dans son château de Balmoral, en Écosse. Bilan de ses 70 années de règne.

Première rencontre avec la gouverneure générale du Canada, Mary May Simon, le 22 juillet 2021. Photo : Rideau Hall.
« Elizabeth Deux, […] Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi », de son titre officiel, « ferait l’histoire simplement par l’écoulement du temps », affirme l’ex-sénateur et constitutionnaliste Serge Joyal.
La reine Elizabeth n’est pas la seule monarque britannique au long règne, nuance l’ex-sénateur. Il y a eu Victoria, qui a occupé le trône pendant 63 ans, de 1837 à 1901, et George III pendant 59 ans, de 1760 à 1820.
Selon Wikipédia, Elizabeth II se trouve au 11e rang du classement des règnes européens les plus longs. Louis XIV [1643 -1 715] arrive au huitième rang. Sept souverains en Asie et trois en Afrique ont régné plus longtemps qu’Elizabeth II. Le record de longévité de règne appartiendrait à Mohammed-Ainla-Lamuye au Nigéria qui a été souverain pendant plus de 89 ans.
« La fin d’une époque »
« Ce qui est remarquable, aussi, c’est que la reine n’a jamais perdu intérêt pendant les 70 années de son règne », note Serge Joyal. À ses yeux, celle qu’il appelle Sa Majesté était d’un dévouement exemplaire. « On pourrait penser que quelqu’un qui occupe la même responsabilité professionnelle pendant 70 ans finit par se lasser », observe-t-il.
C’est également cette longévité qui a été soulevée par la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Liane Roy : « Je suis consciente qu’il existe, dans la francophonie comme dans la société canadienne, des différences de vues et de sentiments quant à l’institution monarchique et ce qu’elle représente. Il reste qu’aujourd’hui on rend hommage à une personne qui s’est dédiée à sa charge avec un immense sens du devoir pendant 70 ans. C’est un moment profondément historique que la fin de ce règne aux débuts duquel la grande majorité d’entre nous n’étions pas nés. C’est la fin d’une époque. »
« Sa Majesté était très aimée de tous les Yukonnais, et bon nombre d’entre eux se rappellent avec une grande joie sa visite historique dans notre territoire en juillet 1959, en compagnie du duc d’Édimbourg, a quant à elle confié Angélique Bernard, commissaire du Yukon. À Whitehorse, le couple avait visité le musée MacBride et voyagé dans le train de la White Pass & Yukon Route pour se rendre jusqu’à McCrea, observant au passage les rapides de Whitehorse, le canyon Miles et le nouveau barrage hydroélectrique. Ils avaient également assisté à des présentations culturelles des Premières Nations et rencontré des résidents pionniers. Le duc d’Édimbourg avait visité seul la cathédrale Christ Church et la Vieille église en rondins à Whitehorse, et s’était envolé pour Dawson et Mayo, la reine étant prise de nausées matinales alors qu’elle était enceinte du prince Andrew, duc de York. »

Le premier ministre du Yukon, l’honorable Sandy Silver, et la commissaire du Yukon, l’honorable Angélique Bernard, ont signé un livre de condoléances le 8 septembre, après l’annonce du décès de la reine Elizabeth II. Photo : Gouvernement du Yukon.
La reine a visité le Canada à 22 reprises, de 1957 à 2010.
Elizabeth II et les identités nationales
L’attachement envers la reine varie selon l’époque et la région. Lorsque le couple royal était à Québec pour souligner les 100 ans des conférences de Charlottetown et de Québec, en pleine Révolution tranquille, la présence de quelques centaines de manifestants a entraîné le déploiement de 4 000 soldats et policiers à Québec. Ce jour d’octobre 1964 a été surnommé le Samedi de la matraque.
« Au Québec, c’est délicat, parce qu’on peut envisager le monarque britannique comme un symbole de colonialisme; mais, de l’autre côté, la Couronne a été un des instruments pour protéger et sauvegarder l’identité et les droits des francophones au Canada », rappelle D. Michael Jackson, président de l’Institut d’études sur la Couronne au Canada.
Il ajoute que « la Couronne est instrument de l’autonomie des provinces, qui a contré la vision centralisatrice du gouvernement fédéral ». Dans un éditorial, en 1967, le quotidien The Globe and Mail qualifie d’ailleurs Elizabeth II de « living symbol of our heritage, both English and French ».
C’est Elizabeth II qui aura officialisé l’adoption du drapeau canadien, en 1964, et de l’hymne national, en 1980, mais aussi qui aura reconnu les torts causés par l’administration britannique avec la déportation des Acadiens, de 1755 à 1763.
En 1990, l’avocat louisianais Warren Perrin avait repris des revendications formulées par des Acadiens en exil en 1760. Ceux-ci avaient notamment demandé « la reconnaissance qu’une tragédie était arrivée et que les actions [de déportation] étaient contraires aux lois britanniques et anglaises », explique l’homme d’origine acadienne, auteur et président du Musée acadien de la Louisiane. Il aura fallu attendre 13 ans pour voir la signature de la proclamation royale reconnaissant les torts, en décembre 2003.
Warren Perrin estime que la souveraine aurait pu simplement faire fi de la demande. « Quand j’ai commencé ça, personne ne pensait qu’on y arriverait; tout le monde pensait qu’on nous ignorerait. » Or, la reine est allée encore plus loin : « Elle a désigné le 28 juillet comme Journée annuelle de commémoration du Grand Dérangement », ce qui est aussi inattendu que phénoménal, se félicite Warren Perrin.
La Constitution
Serge Joyal tient aussi à signaler la souplesse dont a fait preuve la monarque. « Elle a toujours présidé à une évolution en douceur et non pas en confrontation […] Elle s’est ajustée aux différentes époques et aux différents changements, aux modifications fondamentales qui sont arrivées dans plusieurs pays dont elle est la souveraine. »
M. Joyal ajoute aussi que la reine a signé le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, qui confère au Canada une autonomie complète par rapport au Parlement britannique, « une évolution considérable pour le pays, explique-t-il. Ça faisait 50 ans que différents premiers ministres s’attelaient à la tâche de trouver une solution. On a fini par la trouver. »
Elizabeth II, la francophile
Lors de la visite de 1964, Elizabeth II a déclaré devant l’Assemblée nationale du Québec : « Je suis heureuse de penser qu’il existe dans notre Commonwealth un pays où je peux m’exprimer officiellement en français. »
D. Michael Jackson souligne l’attachement de la Couronne britannique, et non pas seulement de la reine, à la dimension francophone du Canada. La reine mère, issue de la noblesse écossaise, était elle aussi francophile. Avant même d’être héritière du trône, une toute jeune Elizabeth a ainsi appris la langue de Molière. Son défunt époux, Philip, la parlait aussi. D’autres membres de la famille royale, dont la sœur, les enfants et les petits-enfants d’Elizabeth II, maîtriseraient jusqu’à cinq langues, dont le français.
La présidente de la FCFA, Liane Roy, a d’ailleurs mentionné que « la reine Élisabeth II était chef d’État du Canada, une chef d’État qui parlait d’ailleurs couramment le français – certainement un exemple à suivre en matière de dualité linguistique. C’est aussi elle qui a ratifié la Charte canadienne des droits et libertés, qui a consacré et enchâssé le statut du français et les droits constitutionnels à l’éducation dans la langue de la minorité. »
« [La reine Elizabeth] parlait français sur la tribune publique quand elle le pouvait et qu’il convenait de le faire, observe François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa. Ça rend encore plus drôle que ses représentants dans le pays ne parlent pas français », laisse-t-il tomber, faisant allusion à certains gouverneurs généraux et lieutenants-gouverneurs.
Elizabeth II en cinq dates
• Naissance le 21 avril 1926
• Élévation au rang de princesse héritière le 11 décembre 1936, à l’abdication d’Edward VIII
• Accession au trône le 6 février 1952
• Couronnement le 2 juin 1953
• Décès le 8 septembre 2022
Ce texte a été écrit par Andréanne Joly, pour Francopresse, et adapté par Maryne Dumaine pour l’Aurore boréale