Un nouvel outil devrait permettre aux Franco-Canadiens de porter plainte plus facilement si leurs droits linguistiques ne sont pas respectés. L’application Web Planctus, lancée le 16 mars par la Chaire de recherche en droits et enjeux linguistiques de l’Université d’Ottawa, se donne pour double mission de vulgariser les droits linguistiques et de les rendre plus accessibles afin que chacun puisse devenir une « sentinelle » du français au Canada.
Ce nouvel outil vise à faciliter le processus de plainte auprès des instances fédérales et provinciales ainsi que de certaines municipalités et institutions. Le titulaire de cette chaire créée en 2018, François Larocque, a répondu aux questions de Francopresse.
Comment vous est venue l’idée de créer l’application Web Planctus?
Ça fait environ deux ans que l’idée me trotte dans la tête ; j’ai commencé la conception du site au printemps 2019.
En tant que personne qui fait des plaintes et qui se sert des différents recours, je me disais que ce n’était pas toujours pratique de faire des recherches sur Google pour tomber sur le bon bureau, puis ensuite naviguer leur site pour trouver le formulaire, puis des fois ils n’ont pas de formulaire… Bref, ça prenait un outil plus rapide!
J’ai eu l’idée de créer une application Web qui permettrait de faire ça, et je me suis dit que ça serait un bon projet pour ma chaire vu qu’un des thèmes [qui me tient à cœur], c’est la vulgarisation des principes de droit linguistique et les rendre accessibles au grand public.
Planctus vient jumeler ces deux fonctions-là : c’est un outil d’éducation accessible à tout le monde, qui permet de transmettre des plaintes linguistiques à 12 différentes autorités compétentes au pays et qui donne accès aux mécanismes de plainte mis en place.
Justement, certaines provinces et certains territoires ne font pas partie de la liste des autorités qui peuvent recevoir les plaintes. Pourquoi?
Ce ne sont pas toutes les provinces qui ont des règles, droits ou règlements politiques en matière de droits linguistiques. Le fédéral s’applique d’un océan à l’autre, donc les bureaux fédéraux à Saskatoon ont par exemple l’obligation de servir les francophones dans leur langue. Par contre, la province dela Saskatchewan a une politique de services en français, mais il n’y a pas de mécanisme de plainte, il n’y a pas de loi, rien qui n’oblige le gouvernement autre qu’une volonté politique d’en faire davantage pour les francophones.
De même pour Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse [la Colombie-Britannique, l’Alberta et le Yukon, qui ne sont pas représentés non plus, NDLR].
Ça se peut que le Yukon s’ajoute, je suis en train de faire des recherches. Il y a une Loi sur les langues au Yukon qui donne certaines protections linguistiques, on peut se plaindre aux tribunaux, mais il n’y a pas de mécanisme de plainte administrative.
Il y a d’autres mécanismes qui existent, qui ne sont pas encore sur Planctus, mais qui s’en viennent, comme la Ville de Sudbury, la Ville de Montréal, l’Université de Montréal et le Québec ; ça, c’est le gros morceau qui s’en vient. Planctus va aussi rediriger des plaintes vers l’Office québécois de la langue française (OQLF).
De temps en temps, le Québec parle de créer un poste de commissaire aux langues au Québec, qui serait à la défense des droits de la minorité anglo-québécoise. S’il voit le jour, Planctus le prendra aussi en charge.
Sur la page d’accueil de Planctus, on peut voir un nombre de « droits activés ». Qu’est-ce que ça signifie?
Ça, c’est moi qui fais de l’optimisme! Je me dis que si on visite mon site — il y a eu 1346 visites en date du 17 mars —, c’est soit pour se renseigner au sujet des droits linguistiques ou bien pour faire une plainte.
La devise de Planctus, c’est « activez vos droits linguistiques ». C’est ce que je veux dire par des « droits activés » : on s’est servi de Planctus pour activer nos droits, soit pour se renseigner au sujet de nos droits, ce qui est je pense la première étape pour poser un geste concret, et ensuite si on passe à la prochaine étape, c’est de porter plainte.
Planifiez-vous d’instaurer un compteur des plaintes déposées via Planctus?
Peut-être éventuellement, mais c’est compliqué parce que chaque bureau de traitement des plaintes a son propre mécanisme. Il faut tenir compte d’où va chaque plainte, et encore on ne sait pas si la plainte est recevable ou non, si elle a été traitée ou non. Tout ça entre dans les statistiques de chaque bureau respectif.
On est vraiment au premier niveau pour l’instant : est-ce que les gens ont eu un contact avec leurs droits linguistiques, en ont pris connaissance, et est-ce qu’ils ont posé un geste pour les revendiquer.
Par exemple, ça m’est arrivé à plusieurs reprises d’être en ligne à l’aéroport et de ne pas recevoir de service en français alors que j’y avais droit. Je me disais qu’en arrivant chez moi, devant mon ordinateur, je pourrais porter plainte ; là, je peux le faire en ligne! Et la dernière fois, je l’ai fait sur mon téléphone, et avant même d’avoir passé la sécurité j’avais déjà déposé ma plainte.
Le rapport annuel 2019 – 2020 du Commissariat aux langues officielles (CLO) indique un total de 1361 plaintes recevables, une hausse de 25 % par rapport à 2018 – 2019. Croyez-vous que Planctus fera gonfler ces chiffres?
Ça va être intéressant à suivre! C’est intéressant de voir qu’il y a des années où les gens s’activent davantage. Indéniablement, en ce moment au Canada, il y a un moment fort autour des droits linguistiques : il y a la modernisation de la Loi sur les langues officielles, en Ontario on parle de refonte de la Loi sur les services en français [ainsi qu’au Nouveau-Brunswick, NDLR].
Je vais être en communication avec les différents bureaux de plaintes pour voir s’ils remarquent une augmentation. Je pense qu’ils ne pourront pas distinguer celles qui proviennent de Planctus ou d’ailleurs, mais si Planctus aide à augmenter les plaintes, je pense que ça va au moins démontrer qu’il y a un besoin.
Les gens qui sont à l’emploi des bureaux de traitement des plaintes comprennent l’importance des règlements du bilinguisme et, de bonne foi, travaillent fort pour qu’ils soient respectés. Mes collègues de l’Université d’Ottawa disent être très contents de Planctus parce qu’ils ont pu dépister plusieurs problèmes sur le campus et ça leur permet d’intervenir!