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le Jeudi 11 octobre 2018 4:24 Société

Nomade Arctique : Les avions du Yukon

Un avion survole l'aéroport de Whitehorse. Photo : Thibaut Rondel
Un avion survole l'aéroport de Whitehorse. Photo : Thibaut Rondel

Jeudi matin 9 h 30, à l’aéroport. Dans un répit de rigolade avec la femme d’à côté racontant l’anniversaire de son chum assis entre nous deux dans la salle d’attente, je regarde autour. Je reconnais la plupart des visages de la trentaine de passagers assis en face de moi. Il n’y a rien de surprenant. On prend tous le vol pour Mayo.

Un avion survole l’aéroport de Whitehorse. Photo : Thibaut Rondel

On s’en retourne tous au travail à la mine d’or après une ou deux semaines de congé, selon le cas. Il me semblerait que je devrais voir des visages découragés, mais ce sont plutôt des mines réjouies qui m’entourent. Pourtant, on retourne vers deux semaines de plutôt dur labeur presque mur à mur, après deux semaines de totale liberté. Normalement, c’est au départ pour les vacances qu’on les voit ces sourires fendus jusqu’aux oreilles. Pas le contraire. C’est à n’y rien comprendre.

Non pas que ce n’est pas la bonne humeur en sortant, mais dans le Sud, ce l’est rarement en revenant. On ne voit pas ça dans des aéroports du Sud. Ici, on s’entend quand je parle du Sud : Vancouver, Edmonton, Calgary, Montréal, etc.

On ne le voit même pas dans les avions volant vers le sud-sud, le sud au sud du nôtre; les Caraïbes, ou les îles Moucmouc ou quelque part à notre antipode (d’ici, tout semble être à notre antipode).

Pour nous, au Yukon, même si c’est par là qu’on s’en va, il faudra tout de même calculer presque deux jours avec les escales dans une ou plusieurs de ces villes plus haut mentionnées. Alors, les sourires, on se les garde pour l’arrivée en bonne et due forme avec tous nos bagages et toute notre tête. La Thaïlande, c’est tout un calvaire pour ça. Jusqu’à notre point final de destination, on est en mission. Pour moi, en tout cas.

Whitehorse, c’est la ligne de démarcation. On s’en va soit sud, soit nord. C’est notre ligne de division continentale aérienne. Partir vers un bord ou vers l’autre est comme partir dans deux galaxies opposées. Le sud d’abord. C’est pas trop compliqué. On n’a le choix que pour environ trois endroits : Edmonton, Calgary, Vancouver. Même si ce n’est pas là qu’on s’en va, on devra y passer quand même. Il y a bien sûr les Allemands (encore eux) qui nolisent leurs propres vols en provenance et vers l’Allemagne, mais ça, ça fait partie des rares exceptions.

La procédure vers le sud donne un avant-goût de ce qui nous attend aux autres escales : détecteur de métal, bagages au rayon X et tout le tralala, salle d’embarquement plus qu’austère. Bref, tout le monde connaît. Ça m’arrive souvent dans cette salle d’attente, me rendre compte que je ne connais absolument personne et ne reconnais même pas une binette familière. Des touristes? Des contractuels? Ou encore, le Yukon est-il beaucoup plus populeux que je me l’imagine? C’est habituellement drette-là que mon dépaysement commence. À l’escale suivante, on est déjà dans un autre monde.

Si on part vers le nord par contre, c’est toute une autre histoire. On risque le rodéo. Dans le nord, pour les avions comme d’autres sphères, on ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis avec les détails.

D’abord, fini les détecteurs de ci et de ça, il n’y en a plus. Finies aussi les salles d’embarquement austères, il n’y en a plus non plus. Plus de sièges assignés. S’il y a un message pour un retard, un changement de route ou quelque chose du genre, et il y en a tout le temps, la préposée vient nous l’annoncer personnellement. À partir de là, on commence à discuter les options. Ça n’atterrit pas à Dawson à cause du brouillard? Ceux qui étaient censés y aller peuvent toujours prendre une chance et embarquer quand même. Ils auront droit au grand tour, Old Crow/Inuvik et peut-être Dawson au retour pour le plein. Sinon, ça va au lendemain.

Le brouillard… Ça me rappelle : je repartais d’Old Crow après toute une saison des nuits ensoleillées. On était rendu à ce temps de l’année où l’hiver annonce son arrivée imminente dans un ciel lourd à couper toute couleur vive ne nous laissant que du noir et du blanc. Il étouffe toute sonorité. Les oiseaux se taisent, le vent et les arbres aussi. Tous écoutent pour entendre son arrivée silencieuse. On sortait vers 11 h à tous les matins et tout ce qu’on avait, était ce son de moteur volant bien au-dessus de notre ciel sans le moindre ralentissement. Alors, on savait. On retournait à l’intérieur à attendre une journée de plus à côté de nos bagages. Trois jours comme ça sans une seule bière pour tuer le temps. Le bar 98 était loin.

Un coup embarqué, par contre, c’est la joie d’un hublot à l’autre. Tout le monde rit ensemble et parfois jusqu’au personnel qui s’en mêle. Une de ces fois-là, mon voisin de siège Randall revenait souvent sur son p’tit chien dans la soute à bagages. Son p’tit chien par-ci, son p’tit chien par-là, c’était bien drôle. À Dawson, où tous se taisent pour entendre arrêter la dernière hélice, c’est là que mon téléphone a décidé de m’annoncer que j’avais un texte avec un son de canard. Tout l’avion a éclaté de rire. Pour sauver la face, j’ai lancé à Randall : « Et moi, je t’ai déjà parlé de mon canard? »

Pour y retourner par contre, c’est une autre histoire. C’est plein de mines déconfites par un séjour en ville trop excitant. Et ça encore, c’est pour ceux qui y sont. Parce que manquer son vol de retour fait partie des mœurs.

Je me rappelle d’une fois… Ah! pis non! Je ne le dirai pas.

Il y a toujours quelque chose. L’autre jour encore, en revenant du campement pour mes deux semaines, une autre affaire : en deux fois, l’avion est parti de Whitehorse pour venir nous chercher et en deux fois, il a viré de bord pour une avarie. OK! Celle-là, ça ne me dérangeait pas de la manquer. Mais ça annonçait quoi pour nous? La fille au comptoir nous a dit qu’ils nous enverraient celui d’Old Crow. Ça, ça menait tard. Pour les pauvres gens qui avaient une correspondance vers le sud, ils avaient droit à un avion nolisé de l’autre compagnie juste pour eux. Et nous? Des cotons?

Deux de mes collègues commençant à avoir trop soif pour attendre plus longtemps décidèrent de marcher jusqu’au « off sale » du village. Moins de 5 minutes plus tard, l’avion nolisé atterrissait. Je le regarde se stationner : « Hé! Il est ben assez gros pour quelques passagers de plus celui-là. » La fille n’y voyait pas d’inconvénient, le pilote non plus, alors on s’y est tous engouffrés. Il ne manquait que nos deux larrons partis s’acheter de la bière.

Des histoires comme ça, il m’en est arrivé deux fois. L’avion au Yukon, c’est pas ennuyant. Mais là, il faut que je vous laisse. Je suis en train de dépasser ma limite de mots encore. Mais il faudra revenir sur le sujet. Il faut absolument que je vous parle de « Crashing Frank ».