Le bonheur est un mot qu’on entend souvent, surtout sa recherche. Au Québec, en tous cas. Je me rappelle de cette préoccupation qui, quant à moi, commençait à s’apparenter à une obsession. On le cherchait et risquait de le trouver partout.
Pour les publicistes, c’était dans l’abondance de certains magasins. Pour les biens penseurs, c’était dans l’abstinence et la frugalité. Pour les maniaques de la bouffe, on le trouvait dans une assiette de bien manger, tandis que pour d’autres, c’est dans un BBQ bien assaisonné ou une poutine de grande renommée.
Pareil pour l’amour. La passion pour certains, la simplicité d’un déjeuner à deux pour d’autres. Bref, on le trouvait dans tout et son contraire. On le trouve même dans la soupe ou « Le bonheur est dans le pré ».
Avec le temps, moi, je commençais à en avoir soupé de cette quête sans fin.
Parce que, j’avais beau regarder dans ma soupe ou ailleurs, je ne le voyais pas tant que ça.
D’autant plus que par bouts, c’était à confondre avec l’extase ou un orgasme perpétuel.
Il faut bien avouer qu’une fois arrivé ici, cette quête semble moins préoccupante. Je n’en suis pas certain, mais, me semble que je l’entends moins. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas fait d’étude sociologique sur le sujet.
Par contre, ici comme ailleurs, la joie ne semble pas trop haute dans l’échelle des valeurs. À part Charles Trenet qui y a composé une chanson entière, on n’y accorde pas trop d’importance.
Il est vrai que quelques religions où certaines de ses factions y consacrent un chapitre ou deux en nous inculquant quelles catégories de joie sont acceptables ou non.
Il y en a aussi qui nous sortent celle-là : « Comment être joyeux quand il y a tant de misère sur Terre? »
Mais eux, on les laisse macérer dans leur saumure. À part pisser leur vinaigre à longueur de temps, ils ne règlent rien non plus.
Si je viens sur ce sujet aujourd’hui, c’est qu’après toutes ces années à voyager en solitaire sur ces routes toutes autant solitaires, je me retrouve où le travail en équipe est considéré comme primordial au succès de production. Alors, dans ces circonstances, les dirigeants comprennent bien et nous le font comprendre que la cordialité est incontournable et les sautes d’humeur, reproches ou autres mesquineries sont intolérables.
Mais comme disait l’autre : « Tant qu’il y aura de l’homme, il y aura de l’hommerie. »
Alors, ça se trouve toutes sortes de petits moyens détournés pour exprimer ses frustrations et mesquineries.
On peut comprendre un peu. Dans ce monde minier, l’atteinte du summum de production se reflète dans tous ses aspects jusque dans ses moindres détails. Comme la pelletée de terre supplémentaire ou faire son approche vers la pelle mécanique par la gauche au lieu de la droite pour faire gagner des secondes sont toutes des préoccupations omniprésentes. Tout est rempli d’échéances budgétées. C’est normal. Avec les coûts faramineux que ces monstres mécaniques engendrent chaque minute, il est normal que tout soit ramené à la minute. La recherche de la perfection de la production est constante. Et comme il y a beaucoup d’humains qui travaillent ici, la perfection, on ne la trouve pas là non plus. Tout le monde essaie de bien faire, mais bon.
Dans ce contexte, on comprendra facilement qu’à la longue, ce sont les petits riens qui viennent à titiller. Ils s’accumulent pendant la journée et en viennent à créer une pression. Ce n’est pas la fin du monde, mais si on laisse aller, ça pourrait dégénérer au point d’envenimer le climat au point de rendre l’atmosphère insupportable.
Les Anglais ont cette expression que j’aime bien : « Don’t sweat the small stuff. » Traduit littéralement, ça donne : « Ne sue pas les petites choses. » Admettons que ça sonne moins bien en français. J’ai eu beau me creuser le coco depuis longtemps, je n’ai jamais vraiment trouvé d’équivalent dans notre langue. Le plus proche vient peut-être de Mme Jutras citée par Plume : « On a toutes nos p’tites misères, mais faut pas s’en faire un calvaire. »
Moi, pour ma part, je ne suis pas plus fin. Je me suis laissé prendre pendant un bout aux abords de ce tourbillon de frustrations qui nous draine vers le fond. Et ça me tentait de sauter dedans. Heureusement que ce n’était pas la première fois. Je l’ai vu venir juste à temps. Il n’y a pas grand-chose à gagner, mais beaucoup à perdre à jouer ce jeu-là.
Alors, après quelques jours de réflexion où je tentais tant bien que mal de garder la tête hors de l’eau, je me suis rappelé une attitude à adopter apprise d’autres collègues : au lieu de tenter de « niveauter », peu importe le dilemme, on le brise en apportant la joie. Une niaiserie, une pensée heureuse, une boutade ou ce qui marche très bien aussi, rire de soi-même.
Pourquoi ça ne marcherait pas à nouveau? Après avoir cherché pendant quelques jours ce nez de clown enfoui bien loin sous d’autres préoccupations, je l’ai essayé un soir dans le pick-up nous descendant de la montagne après une journée particulièrement tendue. La tension était palpable dans le véhicule et l’explosion risquait de se produire à tout moment. Après avoir tourné en rigolade un événement stressant survenu quelques heures plus tôt, un éclat de rire commun envahit la cabine. Et d’autres se joignirent à la comédie improvisée en y mettant leur propre grain de sel. Tous étaient joyeux au bas de la montagne. Le lendemain, c’était pareil.
La joie comme la haine et la peur sont des sentiments contagieux comme des virus. Alors, moi je vais faire mon agent infectant de la joie.
J’avais déjà vu dans un film que les Égyptiens une fois rendus dans l’au-delà se faisaient poser deux questions. La première : « Avez-vous connu la joie? » Et la deuxième : « Avez-vous répandu la joie? »
Je sais, ce n’est qu’un film, ce n’est peut-être pas du tout ce qu’ils croyaient. Je n’ai pas vérifié et je ne vérifierai pas non plus. Cette idée qu’il y a seulement ces deux questions ayant importé dans notre vie me plaît.