Mon séjour de trois mois à Whitehorse tire à sa fin. Je suis partagée entre le désir de retourner à la maison, et la crainte de quitter le Yukon. Crainte puisque chaque retour amène une période de questionnement et de confusion. Retourner est comme reculer dans le temps, retrouver le confort, la routine, le réseau. C’est avoir l’impression que rien n’a changé sauf soi-même, et que ce confort n’est plus que le passé, jusqu’à ce qu’on trouve une nouvelle aventure dans laquelle se lancer. L’aventure nous a vieillis bien plus rapidement que si l’on n’était jamais parti, et cette impression d’avoir tellement appris sur soi-même fait qu’on ne se reconnaît plus.
La francophonie a joué un grand rôle dans mon intégration au Yukon. Cette minorité linguistique m’a permis de faire partie d’une belle petite communauté. J’ai pu enseigner le français langue seconde aux adultes, et je suis certaine d’avoir appris autant qu’eux. Les événements organisés par l’Association franco-yukonnaise m’ont permis de me créer un réseau, ici à Whitehorse, mais surtout des amitiés qui resteront. Les personnes que j’ai rencontrées dans mon milieu de stage m’ont aussi ouvert l’esprit, et je me sens beaucoup plus outillée pour ma future profession : le travail social.
J’ai appris beaucoup au sujet du Yukon, de la culture autochtone, de mon travail, mais j’ai surtout appris sur moi-même. J’ai réalisé à quel point les petits gestes amènent le bonheur. Les crêpes mangées avec ma famille yukonnaise les dimanches matin, les nombreux potlucks — parfois deux par jour —, ou encore les matinées passées au Baked Café à écrire, lire et tricoter. La neige qui tombe sur mon nez pendant que je respire l’air frais et que j’admire le paysage montagneux, ou encore la poudrerie qui m’aveugle et qui me gèle les joues. Que ce soit l’un ou l’autre, je vivais un moment paisible et joyeux. Le Yukon, c’est aussi se précipiter dans la voiture pour s’éloigner de la civilisation, afin de voir le spectacle de rubans colorés dans le ciel. Se dépêcher dans la voiture sans chaussures, sans manteau, pour regarder les aurores la tête sortie par la fenêtre, et le chauffage au maximum pour ne pas geler.
Le Yukon, c’est un bus qui ne passe pas le dimanche, faire du pouce, un accident de voiture et des taxis un peu trop chers. C’est chanter et jouer du tambour avec des inconnus qui m’ont accueillie comme un membre de leur famille, des moments de détente et de méditation qui ont su me changer les idées. C’est aussi l’endroit où j’ai entendu de nombreuses histoires d’amour, de plaisir, de fêtes, de joie et de partage. Le Yukon, c’est y vivre depuis à peine trois mois et être certaine de croiser une personne qu’on connaît pendant la petite marche du midi qui nous permet de voir un peu de soleil. C’est arriver en retard à une rencontre et se faire dire « tu deviens de plus en plus Yukonnaise ». Le Yukon, c’est aller dans une soirée chic où tout le monde porte leurs grosses bottes d’hiver, ou encore découvrir des produits locaux dans les marchés de Noël qui ont lieu chaque jour depuis le début novembre. C’est un paysage à couper le souffle et une aventure inoubliable. Le Yukon, ce n’est pas un adieu, mais un au revoir.
Gabrielle Gauthier, Siegas, Nouveau-Brunswick