Vous avez avalé votre jus de canneberge ce matin et vous pensez être protégé contre les infections urinaires. Malheureusement pour vous, une nouvelle étude affirme ce que plusieurs autres ont affirmé avant elle : aucun impact mesurable.
D’où vient cette nouvelle information?
L’étude menée par une équipe de l’Université Yale et rapportée par plusieurs médias des deux côtés de l’Atlantique affirme que le jus de canneberge ne prévient ni ne soigne les infections urinaires courantes. L’étude a paru le 27 octobre dans le Journal de l’Association médicale américaine (JAMA).
Ce n’est pas la première fois que des études remettent en question les vertus proclamées du jus de canneberge. En fait, un large corpus de recherche était déjà arrivé à la même conclusion. En 2012, des chercheurs britanniques avaient publié une revue scientifique de la question dans la revue Cochrane — il s’agissait là d’une troisième mise à jour des résultats de la première revue scientifique sur la question datant de 1998, et des mises à jour suivantes en 2004 et 2008.
Ce genre de revue scientifique s’appelle une méta- analyse : Cochrane synthétisait les résultats de 24 études, totalisant 4 473 participants, qui portaient sur l’administration de jus de canneberge ou de comprimés de canneberges — dont treize de ces études, totalisant 2 380 participants, avaient comparé les deux. Dépendant des études, les produits de la canneberge ont été comparés au placebo, à l’eau ou à l’absence de traitement.
Qu’est-ce qu’une infection urinaire?
Brûlures au moment d’uriner, douleurs au-dessus du pubis, fréquente envie d’uriner, frissons et urine trouble, les symptômes de cette infection affectent de nombreuses femmes. Selon la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, de 50 à 60 % des femmes adultes contracteront une infection urinaire au cours de leur vie. Mais les symptômes varient d’un cas à l’autre.
Les infections urinaires affectent plus souvent les femmes que les hommes en raison de leur morphologie : l’urètre, le canal de sortie de la vessie, étant plus court, la circulation des bactéries en provenance des intestins se fait plus facilement. Dans près de 80 % des cas, il s’agit d’attaques de la bactérie E. coli (Escheria coli). La plupart du temps, ces infections se résorbent d’elles-mêmes ou avec prises d’antibiotiques.
Des litres plus tard, pas d’avancées
Dans leur nouvelle étude, les chercheurs de Yale, aux États-Unis, ont donné chaque jour pendant un an, l’équivalent d’un demi-litre de jus de canneberge (concentré et en comprimé) à 185 patientes âgées.
Résultat : aucune différence statistique entre le groupe traité avec des concentrés de canneberges et le groupe-contrôle.
« Il ne semble pas y avoir de découverte majeure digne de mention [dans cette étude], mis à part que l’extrait de canneberge ne diminue pas les quantités de bactéries ou de cellules immunitaires dans l’urine ni les taux d’infections, de mortalité, etc. Au final, le traitement n’était pas plus efficace qu’un placebo », confirme le microbiologiste et infectiologue de l’Université de Sherbrooke, Louis-Charles Fortier.
La prévention plutôt que le traitement
S’il n’y a pas d’impact sur le traitement, il est possible que la canneberge ait un léger impact sur la prévention, mais uniquement « pour les femmes souffrant d’infections urinaires chroniques », lit-on dans l’édition 2012 de la revue scientifique Cochrane.
Le jus de canneberge, plus souvent consommé, semble toutefois moins efficace que les comprimés, aux yeux de Michel Carmel, président de l’Association des urologues du Québec et directeur du service d’urologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.
« Les comprimés sont plus concentrés » et moins sucrés. Les femmes qui développent des infections chroniques, poursuit le Dr Carmel, peuvent les utiliser à titre préventif, avant de passer aux antibiotiques; une recommandation identique à ce qu’avait statué en 2015 l’Association américaine d’obstétrique et de gynécologie.
D’où vient le mythe?
L’ingestion quotidienne de produits à base de canneberge pour lutter contre les infections ne date pas d’hier. Consommée durant des siècles par les autochtones, la canneberge a gagné une aura médicinale que les promoteurs de santé naturelle vantent encore aujourd’hui : antibactérienne, laxative, contre les crampes d’estomac, etc.
Avant la découverte des antibiotiques, on prêtait surtout au jus de canneberge la vertu d’acidifier l’urine grâce aux composés « phénoliques » du jus, censés tuer les bactéries — en rendant le milieu acide, ces composés inhiberaient la croissance des bactéries.
Avec la découverte des antibiotiques, les médecins ont plutôt choisi de recourir à ces médicaments pour traiter les infections urinaires, mais aussi en prévention, pour les infections récurrentes. Boire beaucoup d’eau, changer de savon, penser à s’essuyer d’avant en arrière et uriner après les relations sexuelles sont d’autres conseils préventifs mis de l’avant par de nombreux urologues.
Le temps de passer à autre chose?
Pourtant, plusieurs médecins n’ont pas délaissé la prescription de jus de canneberge à titre préventif. « Ce n’est pas nocif », relève le Michel Carmel, urologue.
Face à la nouvelle étude, l’urologue convient qu’il serait sans doute temps de cesser d’en prescrire, sans toutefois décourager les patientes qui souhaiteraient poursuivre ce remède inoffensif. « Ce sont des plus jeunes femmes qui viennent me voir. De 10 à 15 % font de nombreuses infections chroniques. Par contre, les hommes n’ont aucune raison de poursuivre ce traitement », relève le Dr Carmel.
Nicolle Lindsay de l’Université du Manitoba va plus loin. Selon elle, il serait plutôt temps de passer à autre chose, écrivait-elle dans un éditorial accompagnant l’étude de Yale (Time to move on) : « malgré de nombreuses études cliniques cherchant à évaluer l’usage des produits de la canneberge pour la prévention des infections urinaires rapportées, les résultats ont été variables et l’efficacité, s’il en existe une, reste inconnue après presque un siècle ».
Verdict
Après des décennies de recherche : aucune donnée probante ne permet d’affirmer que les produits de la canneberge permettent de prévenir ou traiter les infections urinaires. Il est toutefois possible qu’ils préviennent les infections chez les femmes qui en souffrent de façon chronique.
Pour distinguer une étude fiable
Il est toujours bon de vérifier si une étude citée par un média est une méta-analyse ou une étude unique, cette dernière portant par définition sur moins de gens et rassemblant moins de données. Il est également de mise de prendre le temps de s’interroger sur le média qui rapporte cette étude et de consulter ses références — si elles sont disponibles, évidemment.