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le Lundi 1 février 2016 15:12 Société

De colère et d’espoir

Marche Sœurs par l’esprit 2010. Photo : Whitehorse Aboriginal Women’s Circle
Marche Sœurs par l’esprit 2010. Photo : Whitehorse Aboriginal Women’s Circle

Chronique Les EssentiElles, par Ketsia Houde

Le travail d’activisme en est un de sacrifices et de vocation sur de longues périodes sans voir de succès ou résultats tangibles. Les organismes pour femmes et leurs alliées pourraient vous en dire long à ce sujet. Nous attendons toujours avec appréhension la question qui vient bon an mal an autour des campagnes de prévention de la violence faites aux femmes : « Est-ce que les choses changent? Les taux de violence envers les femmes sont-ils en baisse grâce à vos campagnes? »

Je dois vous avouer que devant la stagnation des statistiques, nous nous questionnons sur l’efficacité de brandir nos affiches et des présentations publiques quelques fois par année, tandis que des millions de femmes vivent dans la violence tous les jours, certaines sont tuées, enlevées, violées. Nous recherchons constamment la phrase, l’image, l’angle qui vous fera réaliser l’ampleur du problème et votre responsabilité individuelle et collective à intervenir auprès d’un homme qui utilise la violence pour contrôler sa partenaire, à tendre la main et soutenir une femme qui est victime de violence, ou simplement exprimer votre désaccord à une blague sexiste qui renforce l’idée qu’une femme vaut moins qu’un homme.

Marche Sœurs par l’esprit 2010. Photo : Whitehorse Aboriginal Women’s Circle

Marche Sœurs par l’esprit 2010. Photo : Whitehorse Aboriginal Women’s Circle

Le matin du 11 janvier, assise dans la maison longue du Centre culturel des Kwanlin Dun, je peux finalement dire que le travail accompli par des milliers de femmes autochtones et leurs alliés portent ses fruits. Une Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées est en marche.

L’Association des femmes autochtones du Canada travaille depuis plus de 30 ans à ce que la réalité des milliers de femmes autochtones disparues ou assassinées soit sur la liste de priorité des corps policiers et des gouvernements. Leur appel répété pour la tenue d’une commission d’enquête nationale a finalement été entendu.

En tant qu’alliées des groupes de femmes autochtones du Yukon, Les EssentiElles ont été invitées à assister à la journée de préenquête du 11 janvier. J’ai écouté, avec respect et humilité, les familles confier à la ministre fédérale de la Justice, l’honorable Caroline Bennett, l’histoire de leurs mères, filles, épouses, sœurs, tantes, amies qui ont disparu ou ont été tuées sans que les coupables soient arrêtés. Parfois même avec la complicité de la police, les coupables ont été laissés aller avec impunité. Certaines familles n’avaient jamais publiquement exprimé l’histoire de leurs proches. J’ai découvert que des amies et des collègues avaient perdu leur mère, leur fille de manière violente, que la police de l’époque et la communauté avaient protégé les agresseurs ou mis si peu de ressources à trouver les coupables que ça revenait au même. Heureusement, les choses changent, même si c’est d’une lenteur agonisante.

En écoutant leurs histoires, mes larmes coulaient de tristesse et de colère, mais ma conviction et ma motivation à continuer mon travail ont été embrasées et mon espoir dans la possibilité d’un réel changement a été ranimé.

Selon moi, cette enquête fait partie du processus de réconciliation avec les nations autochtones que nos ancêtres pas si lointains ont tenté de coloniser, d’assimiler et d’anéantir. Le fait que la vie et les problèmes d’une femme autochtone soient traités ou considérés différemment des autres femmes canadiennes est la preuve que nous vivons encore dans un monde colonialiste et raciste. Si vous doutez de la justesse de mes propos, écoutez le reportage de l’émission Enquête sur les actes de violence commis par les policiers de la Sûreté du Québec à Val-D’Or envers des femmes autochtones; lisez les rapports accablants d’Amnesty International, de Human Rights Watch ou du rapporteur spécial de l’ONU.

Nous avons tous un rôle à jouer pour renverser la culture de racisme qui est profondément ancré dans le cœur de la population canadienne. Prenez conscience de la première pensée qui vous traverse l’esprit lorsque vous voyez une personne autochtone. Est-ce un préjugé sur sa situation économique, une présupposition sur sa consommation d’alcool ou de drogue, ses capacités professionnelles? Je vous invite à prendre le temps de vous y arrêter et de vous questionner sur vos propres préjugés. Ils sont probablement non fondés et vous réaliserez tout le travail qu’il nous reste à faire, en tant que société, pour nous réconcilier avec les premiers peuples du Canada.

Je nous invite à éduquer nos enfants, nos élèves en inspirant du respect pour les peuples autochtones en soulignant les contributions, les succès de leurs communautés; pas seulement les défis auxquels ils sont confrontés à la suite d’un demi-siècle de politiques colonialistes et d’assimilation. Je vous invite à leur parler de nos leaders autochtones tels Elijah Smith, Margareth Joe Commodore, Norma Kassi, les fondatrices d’Idle No More; à écouter la musique d‘Elisapie Isaac, Tania Tagaq, Samian, Buffy Sainte-Marie, à regarder les films et documentaires des cinéastes tels Alanis Obomsawin ou à lire les livres de Joseph Boyden, Eden Robinson, Bernard Assiniwi, Joséphine Bacon.

Nous avons tous et toutes un rôle à jouer : comme activiste, personnel enseignant, ou membre de la communauté. « Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. En fait, le monde n’a jamais été changé autrement. » (Margaret Mead)

Vous pouvez contribuer à la préenquête nationale en complétant le sondage sur la page d’accueil canada.gc.ca.