Danny Joncas (Francopresse)
Le système judiciaire ne peut bafouer les droits linguistiques d’un accusé en invoquant un manque de ressources ou les coûts additionnels qu’engendrerait la présence de personnel bilingue, tranche le juge Paul Rouleau, de la Cour d’appel de l’Ontario, dans un récent jugement ordonnant la tenue d’un nouveau procès pour un individu d’Ottawa accusé de trafic de drogue.
Généralement, lorsqu’il est question de violations des droits linguistiques d’un accusé au Canada, les dossiers émanent de régions où l’on retrouve une moins grande concentration de francophones. Mais dans ce cas-ci, l’enquête préliminaire de l’individu se déroule à Ottawa, en présence de procureures de la couronne s’exprimant peu ou pas du tout en français, d’une sténographe unilingue anglophone et d’une traduction simultanée parfois défaillante, entre autres. Ces manquements sont vivement dénoncés par le juge Rouleau et ramènent l’accusé à la case départ.
Cette histoire rocambolesque débute le 26 février 2010, lorsque Christian Munkonda et sept de ses complices sont arrêtés dans la capitale nationale et accusés de trafic de stupéfiants.
Six des individus choisissent d’être jugés en anglais, tandis que Christian Munkonda et un autre coaccusé optent pour la tenue d’un procès en français. Dans le cas de M. Munkonda, il se butera à divers obstacles tout au long des procédures judiciaires.
Obstacles
Parmi ces obstacles, dès le début de son enquête préliminaire, l’accusé se retrouve devant une procureure de la couronne unilingue anglophone et une autre ne maîtrisant que quelque peu le français. Une troisième procureure bilingue se joindra à elles, à la demande de l’avocat de M. Munkonda, mais celle-ci n’intervient que très rarement dans le cadre de l’enquête préliminaire.
S’ajoutent ensuite aux problèmes de l’accusé des difficultés techniques avec la traduction simultanée et l’absence d’une sténographe bilingue, sans compter un juge qui ne semble pas très enclin à prendre les mesures nécessaires afin que les droits linguistiques de l’accusé soient respectés.
« C’est pas moi qui a la charge d’administration. J’ai assez de problèmes à régler sans régler ceux de tout le monde. Je comprends que ça serait préférable que nos sténos soient bilingues, ça ne l’est pas. Ce n’est pas moi qui vais faire des ordonnances pour en obtenir une. Donc on va procéder avec les ressources qui nous sont disponibles », déclare à l’époque le juge Robert Fournier, de la Cour de justice de l’Ontario.
Ce dernier en rajoute au cours de l’enquête préliminaire en laissant sous-entendre qu’accommoder M. Munkonda nécessiterait des investissements en temps et en argent.
« C’est quelque chose (compter sur la présence de personnel bilingue) que j’aimerais faire dans un monde parfait, mais on ne vit pas dans un monde parfait », poursuit le juge Fournier, ajoutant que le système judiciaire ontarien ne dispose pas de ressources illimitées.
Violations des droits
Dans son jugement, le juge Paul Rouleau de la Cour d’appel n’est pas tendre envers son homologue Robert Fournier.
« La poursuite n’a même pas respecté ses directives internes concernant l’obligation de traduire les préavis lors d’un procès bilingue. Au surplus, le juge a non seulement participé aux violations, mais il semblait également, par moments, exaspéré par la demande portant que les droits soient respectés », avance-t-il.
Selon le juge Rouleau, si de tels manquements avaient eu lieu lors d’un procès plutôt que pendant l’enquête préliminaire, l’accusé aurait même pu voir toutes les accusations pesant contre lui être retirées.
« À mon avis, un arrêt des procédures pourrait, dans un cas approprié, être la réparation qui convient pour remédier à des atteintes graves aux droits linguistiques. En l’espèce, par contre, les violations ont eu lieu au cours d’une enquête préliminaire et non au procès », estime Paul Rouleau.
« Un accusé ne devrait pas être tenu de rappeler au tribunal et à la poursuite leurs obligations linguistiques. Rendre conflictuel l’accès aux services auxquels l’accusé a droit risque non seulement de miner son droit, mais aussi de faire craindre à l’accusé qu’en exigeant le respect de ses droits, il contrarie le tribunal et la poursuite et ne bénéficie pas d’un procès équitable », ajoute le juge dans sa récente décision.
Au sein de la francophonie ontarienne, on a accueilli favorablement cette décision, le commissaire aux services en français de l’Ontario, François Boileau, rappelant qu’il est fondamental que les francophones aient accès à un procès juste et équitable dans leur langue.