le Mercredi 11 septembre 2024
le Jeudi 2 mai 2024 7:54 Actualités

Haines Junction, au cœur des montagnes

C’est par la route de l’Alaska qu’on découvre Haines Junction. — Photo : Martin Laniel
C’est par la route de l’Alaska qu’on découvre Haines Junction.
Photo : Martin Laniel
Avec ses 900 habitants et habitantes, Haines Junction est la troisième plus grande communauté yukonnaise à l’extérieur de Whitehorse. C’est au cœur des montagnes, de la nature et d’une communauté vibrante, parfois oubliée de la capitale, qu’on retrouve des francophones expatrié·e·s au Yukon qui s’intègrent à leur manière.

Situé à 160 kilomètres à l’ouest de Whitehorse, le village de Haines Junction, comme son nom l’indique, est à la croisée des chemins. Ici, les montagnes et les glaciers empêchent de continuer vers l’ouest et on doit choisir le nord, vers Beaver Creek et puis Fairbanks ou le sud, vers Haines et l’océan en Alaska. Historiquement nommé Dakwakada (« haute cache » en tutchone du Sud), le site sur lequel s’est développé le village était un camp de chasse et de pêche saisonnier dont se servaient les Premières Nations de Champagne et d’Aishihik (É-Ji-ak).

Avec l’arrivée de l’armée américaine en 1942, le camp servira de dépôt de matériaux et de carburant pour faciliter la construction d’une route vers le sud et la continuation de la route de l’Alaska au nord. C’est au même moment que s’incorpore le village de Haines Junction et que se colonise la région. L’arrivée de la route de l’Alaska engendrera un déplacement des groupes familiaux autochtones, qui quitteront les villages isolés de Champagne, Aishihik et Klukshu et viendront s’installer à Haines Junction. C’est lors de la signature du document d’autogestion territorial autochtone que la Première Nation choisit de conserver le nom des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik (PNCA).

On peut pardonner le manque d’originalité des motels et des stations-service qui bordent la route, car ce qui fait la beauté du village a été créé par la nature. Ici, on ne peut ignorer les pics enneigés qui nous entourent et qui délimitent le parc national Kluane et la plus grande étendue glaciaire au sud du cercle polaire. Ce qu’on retient d’Haines Junction, c’est l’environnement montagnard unique au monde.

Reconnu pour la fameuse Village Bakery en exploitation depuis plus de 30 ans, Haines Junction accueille annuellement plusieurs petits festivals, notamment le le festival Kluane Mountain Bluegrass et le festival de danse autochtone Da Kų Nän Ts’étthèt (« notre demeure réveille la terre ») où se rencontrent les troupes de danse des Premières Nations du territoire ainsi que de l’Alaska.

Naviguer la langue et la culture

Autant que le village se retrouve à la croisée des chemins, il y existe aussi un multiculturalisme surprenant. L’anglais, l’espagnol, le philippin et le français côtoient la culture traditionnelle autochtone. Au cœur de ce mélange se trouvent de jeunes familles francophones qui y ont trouvé leur place.

La cabane dont est tombée amoureuse la famille de Lionel Pelecyn et de Lucie Llamas Bravo.

Photo : Lucie Llamas Bravo

La cabane où vivent Marianne Nowicki et sa famille est située à 30 kilomètres de Haines Junction.

Photo : Marianne Nowicki

La famille de Lucie Llamas Bravo et de Lionel Pelecyn marie l’anglais et le français à Haines Junction.

Photo : Fournie

Pour Lucie Llamas Bravo et Lionel Pelecyn, Belges d’origine, une rencontre chanceuse les a menés vers un emploi à Haines Junction et ils s’y sont depuis installés. « Haines Junction, c’est par coïncidence, mais on est tout de suite tombés amoureux de Kluane », dit Lionel Pelecyn.

Arrivée il y a deux ans, la famille belge parle français à la maison. Cependant, Lionel Pelecyn explique qu’« à l’extérieur de la cabane, c’est surtout l’anglais ». Pour ce dernier, « parler avec d’autres en français n’est ni un confort ni un besoin, car nous aimons tous les deux l’anglais ». Il continue en expliquant que « le français, c’est nos racines et ça permet de communiquer avec la famille en Belgique, mais les enfants seront baignés dans l’anglais et deviendront bilingues rapidement. »

Marianne Nowicki, arrivée de France en 2017, s’est mariée avec un membre de la Première Nation de Champagne. Ils ont choisi un mode de vie autonome et plus traditionnel au bord du lac Dezadeash, à une trentaine de kilomètres au sud de Haines Junction.

Son mari est anglophone, avec des ancêtres français. Marianne Nowicki dit que son choix de langue dépend du contexte à la maison. Elle parle à ses enfants en français, mais indique que « l’anglais, c’est parfois une langue plus directe. »

En ce qui concerne l’éducation de ses enfants, elle rapporte qu’ils pourront évoluer dans les deux langues. « Je peux lui apprendre des choses en français. Il apprendra des choses en anglais à l’école et ce n’est pas exclusif », dit-elle de son fils de trois ans. De plus, elle voit l’importance d’une éducation qui reflète la culture autochtone de son mari.

Marier sa culture à la communauté

Les deux familles expriment qu’elles n’ont pas exploré à fond la communauté francophone au Yukon, mais que par l’entremise d’un programme de jeux pour enfants dans le village, elles ont eu l’occasion de côtoyer d’autres familles francophones.

Pour eux, c’est moins la langue qui leur manque, mais la culture de chez eux. Au dire de Lucie Llamas Bravo, « trouver des gens qui parlent français, c’est chouette, mais ce sont surtout des Québécois et on n’y retrouve pas notre culture. »

« En Belgique, on va chez les gens, on se fait une bouffe et ça dure de 19 h à 23 h. Ici, les contacts qu’on a sont beaucoup plus brefs. Pour l’instant, nous n’avons pas appris à décoder la sincérité de ces contacts, mais nous sommes certains que ça va évoluer », admet Lionel Pelecyn.

Marianne Nowicki et ses enfants.

Photo : Pia Paaronsen

Marianne Nowicki exprime le même sentiment. Elle dit que malgré sa découverte et son amour des grands espaces et d’un mode de vie autonome, la France, avec son histoire et son architecture, lui manque parfois.

« On ne peut pas tout avoir. Par exemple, si j’étais à Whitehorse, j’aurais plein de relations avec des francophones ». Elle indique qu’elle peut se rapprocher de ses racines européennes avec ses voisins originaires de Suisse allemande. Elle affirme elle aussi que ce contact et ce rappel sont centrés autour de la nourriture, « le fromage, par exemple. »

Il semblerait, cependant, que la montagne et la grande nature qui entourent la région de Kluane permettent de pardonner bien des choses.

 


Cet article inaugure une nouvelle série d’articles intitulée « Nos communautés ». À travers les yeux de francophones, cette série présente la vie au Yukon dans les communautés éloignées de la capitale ».