Le joli mois de mai, dit-on. Célébrations, chants d’oiseaux, retour de la lumière et… tempête de neige! La routine quoi.
C’est drôle comme certaines choses reviennent avec une régularité rassurante, tandis que d’autres refont surface avec une récurrence déconcertante. « Drôle », c’est une façon de parler, car je ne parle pas que de météo : ce qui me déconcerte le plus, c’est ce retour régulier du débat au sujet de l’avortement. À savoir pourquoi ce débat revient toujours au printemps, c’est encore un mystère pour moi. Une histoire d’abeilles, peut-être?
Quand ce débat reprend du poil de la bête, je me sens tout de même privilégiée. D’une part, toutes les femmes dans le monde n’ont pas ce droit reproductif fondamental. D’autre part, même au Canada, toutes n’y ont pas forcément un accès équitable. Si en 1988 l’arrêt Morgentaler de la Cour suprême du Canada a cessé de criminaliser l’avortement consenti, reste que l’accès n’est pas uniforme au pays, comme la situation l’a démontré récemment au Nouveau-Brunswick.
Revenons tout d’abord sur les libellés pro-vie contre pro-choix. Pour ceux et celles d’entre vous qui ne sont pas familiers avec ces termes, pro-choix désigne les personnes qui sont en faveur du droit à l’avortement, et pro-vie, les personnes qui sont contre.
Les personnes qui valorisent le choix des femmes concernant leur propre corps seraient-elles donc contre la vie? Le terme est absurde, selon moi, et un article de Science-Presse publié ce mois-ci partage mon avis. Il explique que restreindre le droit à l’avortement ne signifie pas en restreindre le nombre et démontre que plus l’accès à l’avortement est restreint, plus les risques de décès augmentent. « Les pays avec les lois les plus restrictives rapportaient un taux de décès liés à l’avortement 34 fois plus élevé. »
L’article poursuit en chiffre : à travers le monde, 68 000 décès par année sont liés à des avortements réalisés dans des conditions moins sécuritaires, et 5 millions de femmes souffrent de complications à long terme. « Un fait qui est pourtant peu soulevé par les mouvements qui s’étiquettent pro-vie », soulève l’auteur, Pascal Lapointe.
Les raisons derrière la décision d’avorter sont personnelles à chacune. Mais gardons en tête qu’une personne qui souhaite interrompre une grossesse vit déjà un chamboulement d’hormones dont les symptômes varient et peuvent inclure nausées, anxiété, gain ou perte de poids.
J’ai connu bon nombre de femmes qui y ont eu recours. Deux fois j’ai même hébergé des femmes, pour leur permettre d’avoir accès à un avortement légal et sécuritaire. Et pourtant, jamais un avortement ne m’a été rapporté comme un acte anodin.
Pour l’une d’elles, c’était un accident de parcours. Elle vivait en Irlande (où l’avortement n’est toujours pas légalisé sans raison « valable »), et comme beaucoup de femmes irlandaises, elle devait sortir du pays pour cette intervention. J’habitais alors en France, je la connaissais peu, et elle effectuait ce voyage à l’insu de sa famille et de ses proches. À la gêne de s’inviter chez des connaissances lointaines, s’ajoutaient la honte et le sentiment de culpabilité, sans compter les défis liés à la procédure elle-même.
L’autre a logé chez moi puisqu’elle ne pouvait, à l’époque, recevoir ce service à Dawson, là où elle vivait. Sans emploi fixe, sans logement, sans conjoint et sans cercle social, son choix était pour elle un acte responsable dont elle était certaine. Le système yukonnais la soumettait pourtant à un temps d’attente de plusieurs semaines, décrit comme visant à la faire « réfléchir et confirmer sa décision », durant lequel les signes de grossesse s’intensifiaient.
Ce droit, bien que légalement institué au Canada, demeure encore difficile d’accès à de nombreux endroits au pays, notamment au Yukon dans certaines communautés. Avoir à parcourir des centaines de kilomètres, attendre plusieurs semaines pour y avoir droit ou retirer ce service des assurances-maladie sont encore des freins qui restreignent les droits des femmes à disposer de leur propre corps.
Alors, en ce retour du printemps, même si ce débat paraît inconcevable de nos jours, il a au moins l’avantage de nous rappeler qu’encore aujourd’hui, il y a toujours du chemin à parcourir.