Il y a ces périodes dans la vie où l’on ne sait plus à quel Saint se vouer.
Il y a cette liste de tâches automnales qui s’allonge autant que la couche blanche sur le sommet des montagnes. Il y a ces mois d’adaptation qu’on a « dans les pattes ». La rentrée et son réveil matin qui sonne, semble-t-il, un peu trop tôt (preuve en est : il fait encore noir!). Il y a eu les multiples états d’urgence. Le développement de l’écoanxiété dans notre quotidien.
Il y a les élections et l’inquiétude des conséquences de ce choix collectif que nous allons faire ensemble. L’isolement social qui a découlé de la distanciation physique, et les ami.e.s qui, faute de nous voir la binette, peu à peu nous oublient. Il y a les risques d’exposition, les au revoir, les assurances, le désinfectant, la vaisselle, les factures, les pneus à changer et le bois à organiser…
Mais heureusement… il y a aussi Chopin.
Ce compositeur polonais, qui a émigré en France à l’âge de 20 ans, a vécu au 19e siècle. Tout le monde a déjà entendu ce nom, bien sûr. Mais la plupart d’entre nous avons également déjà entendu ses compositions, même sans savoir qu’elles étaient de lui. Pour ma part, il a figuré parmi ces fantômes classiques qui, à travers des cassettes à ruban, rythmaient mon apprentissage des arabesques, développés, battements et grands jetés durant 17 ans de cours de ballet.
S’étant éclipsé pendant plus de vingt ans, il a refait surface chez moi très récemment, non pas en musique, mais en mots. Tout a commencé au Salon du livre l’an passé. Acheté puis oublié sur le dessus d’une étagère, Madame Pylinska et le secret de Chopin, d’Éric-Emmanuel Schmidt, devait être désireux de se faire dépoussiérer les pages. Il est donc tombé de son perchoir il y a quelques semaines… « Lis-moi !! », criait-il.
OK.
Dans ce livre, le personnage ne réussit pas à jouer Chopin, au piano. Au fur et à mesure de son apprentissage, il découvre que pour réussir, ce qui lui manque, ce n’est pas dans l’expérience qu’il le trouvera, mais plutôt dans l’observation de son monde. Dans l’appréciation de l’instant. Dans la légèreté de l’être.
Alors j’ai sorti mon tourne-disque et le coffret vinyle (encore sous emballage) de l’intégrale de Chopin (aucune idée d’où il venait non plus, lui, d’ailleurs…). Et j’ai écouté. Le temps d’un instant, j’ai fermé les yeux. Et voilà, la magie a opéré. Assise par terre dans l’entrée, j’ai pris du recul. Un peu de temps, hors du temps…
Lorsque tout s’empile au point qu’on ne voit plus l’ensemble du décor, souvent, la seule façon d’y voir clair, c’est de renouer avec l’instant. Faire une randonnée dans les sommets yukonnais nous permettra de voir plus loin, de sentir les feuilles craquer sous nos pieds, d’apprécier les odeurs et nous régaler, le temps d’un instant volé, de canneberges juteuses.
Prendre de la hauteur, tels ces parapentistes qui s’envolent pour mieux saisir l’immensité de leur instant présent. Mme Pylinska, dans le livre de Schmidt, demande même au personnage de ne pas toucher à un piano pendant plusieurs jours, afin de progresser. « Écoutez le silence », lui impose-t-elle comme seul exercice, « c’est lui qui rythme la musique ».
Est-ce cela l’apprentissage de la vie : arrêter de s’acharner lorsque les obstacles s’empilent? Ça paraît pourtant contre-intuitif, lorsque la vie s’entête à apporter des défis à la pelle. On cherche des techniques, des conseils, des compétences, des pratiques, de la rigueur, des plans, du contrôle. Et si la solution, c’était tout simplement de lâcher prise quelques instants? D’écouter le silence? Laisser nos soucis s’évaporer le temps d’une méditation ou d’un court instant de pleine conscience?
À l’heure d’écrire ces lignes, notre chère Nicole Edwards vient elle aussi de prendre son envol. Tel un oiseau de paradis, activiste de l’Amour, elle a d’ailleurs composé plusieurs chansons sur le lâcher prise, sur la méditation et sur la résilience. Chère Nicole, artiste talentueuse et oh! combien généreuse, ton combat contre la maladie a pris la forme de l’amour à tant de reprises. Quelle merveilleuse inspiration tu laisses parmi nous. Merci.
En ce début d’automne, il est bon de se rappeler qu’au travers de la noirceur (celle des matins tout autant que celle du cœur), il y a aussi des arbustes rougissants, des feuilles d’un jaune éclatant, des épilobes flamboyants… Il y a ces perspectives d’un hiver réconfortant. Comme un vent du Sud doux et léger, à travers les moments gris de la vie, heureusement, il y aura toujours ces quelques notes. Ces tonalités qui, sans grande raison apparente, sauront trouver à elles seules le chemin qui nous ramènera, au moins le temps d’un instant, à l’essentiel.