le Vendredi 11 octobre 2024
le Mercredi 9 septembre 2020 16:16 Éditoriaux

Orange

Ah! Ces belles couleurs qui nous ont pris d’assaut en à peine quelques jours. Du rouge, du jaune et de l’orange jusqu’au bout des feuilles des épilobes et des rosiers sauvages.

Orange aussi la couleur de ces carottes que nombres d’amateurs et amatrices de jardinage ont récoltées. Après ce printemps rempli d’inquiétude, la philosophie de l’autosuffisance a gagné plus d’un foyer yukonnais. Quel bonheur de voir sortir de terre, ou sur les étalages de nos fermes favorites, ces beaux légumes. Magnifiques symboles de résilience, dont les fanes s’épanouissent vers le ciel, tandis que peu à peu, les racines juteuses grossissent et s’ancrent dans ce qui les nourrit…

En ce mois de septembre, orange est aussi la couleur d’un symbole : un chandail. Symbole des séquelles laissées par les écoles résidentielles et de la résilience des personnes qui y ont survécu.

La semaine passée, à Montréal, la statue de John A. Macdonald était prise d’assaut. Que l’on cautionne ou non la violence du geste, c’est indéniablement un voile qui s’est levé, pour nombreuses et nombreux d’entre nous, sur un aspect de notre Histoire. Et je dis « notre » en pesant mes mots, car ce n’est pas dans les fiches préparant au test d’immigration qu’on nous enseigne cet aspect de l’histoire canadienne! Celui qui fut un des pères fondateurs de la Confédération aura donc été également l’un des auteurs du dépouillement de la culture autochtone au Canada et initiateur des écoles résidentielles. Suivant les recommandations de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, ces écoles viennent d’être enfin reconnues par Ottawa (le 1er septembre dernier) comme un « pan sombre » de l’histoire canadienne. Des mots officiels, des symboles. Mais sommes-nous réellement à l’abri des injustices pour autant? Le passé est désormais reconnu. Certes. Le chandail orange, porté le 30 septembre, souligne que « tous les enfants comptent », et lève le voile sur le processus d’assimilation qui a été fait dans le passé, pour qu’il ne se reproduise pas. C’est important. C’est excellent même.

Pourtant, au-delà de nos frontières, les peuples autochtones ne sont toujours pas entendus. Les cris du cœur poignants de la directrice générale du comité de pilotage Gwich’in, Bernadette Demientieff, démontrent que dans le monde (et si proche de nous!), les injustices perdurent et se répètent… « Nous vivons et prospérons dans l’Arctique depuis des milliers d’années. Nous avons écouté et appris de nos aînés, et nous savons que nous devons être unis pour protéger les générations futures. […] Notre peuple se sent attaqué par notre propre gouvernement, tandis que les Gwich’in du Canada ont, eux, tout simplement été ignorés! », a-t-elle déclaré lors de la conférence de presse qui annonçait que le peuple Gwich’in avait décidé d’aller devant les tribunaux pour protéger le troupeau de caribous et leurs terres sacrées.

Des statues qui tombent, des chandails, des épinglettes et des manifestations… Symboles, disons-nous, pour que les douleurs du passé se transforment en mémoire collective et ne se reproduisent ni dans le présent ni pour les générations futures. Comme la feuille jaune-orange d’automne qui tombe de sa branche, ces gestes sont anodins dans leur individualité, mais indéniables dans leur grand nombre. Espérons qu’ils soient eux aussi annonciateurs d’un vent de changement…