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le Jeudi 12 septembre 2019 8:13 Éditoriaux

Immigrer

Photo : Flickr - Baptiste Pons
Photo : Flickr - Baptiste Pons

Cette semaine a eu lieu le forum en immigration à Whitehorse. L’objectif : définir des actions d’accueil en immigration, puisque au Yukon, 4,31 % des immigrants sont francophones.

Là où j’ai grandi, être immigrant n’avait pas toujours une connotation positive. L’immigration, c’était souvent les ghettos des banlieues, les parents qui emmènent parfois leurs enfants à la banque pour faire la traduction avant de signer. Là d’où je viens, avoir quatre grands-parents blancs ne faisait pas majorité sur une photo de classe multicolore. C’était le multiculturalisme dans toute sa diversité. C’est probablement grâce à cette multitude de tons et de couleurs que j’ai développé une certaine empathie culturelle.

Vous l’aurez remarqué, Nelson au Yukon a fait sa place depuis quelques mois dans les pages du journal. Nelson, c’est justement l’immigrant cliché (caricaturé parfois). Il a des réalités difficiles à comprendre si on ne se met pas dans ses souliers. Ses croyances, ses défis d’intégration et ses incompréhensions sont si intenses qu’elles peuvent même choquer.

Débarquer de l’Est du Canada peut être déroutant. Imaginez donc débarquer de Paris! De l’île de la Réunion, du Mali… « Oh, ça ne doit pas être facile », se dit-on, pensant principalement aux différences climatiques. Mais avons-nous envisagé que dans certaines cultures, vivre à trois, voire quatre générations, dans la même maison est monnaie courante, que l’entraide, le temps, l’argent ont des dimensions totalement différentes des nôtres? Pour des personnes immigrantes, tout est à réapprendre.

« Pas ici », pensez-vous peut-être…

Alors, sans aller aussi loin, concentrons-nous sur la majorité locale : 85 % des immigrants francophones au Yukon viennent de la France. Saviez-vous que le système de carte de crédit en Europe est complément différent de celui du Canada? Saviez-vous qu’une personne venue de France doit repasser son permis de conduire, et payer des assurances plus cher puisqu’elle est dès lors considérée comme « jeune conductrice », peu importe son âge?

En sortant du forum en immigration, j’ai croisé dans la rue une femme avec son gros sac à dos de voyageuse et des brochures d’information dans la main. J’ai eu un flashback : le tout premier jour où je suis arrivée au Yukon, à Whitehorse.

Mon amie allemande (rencontrée la veille) cherchait la boulangerie Alpine. Sans adresse précise, nous sommes arrivées devant un commerce. Elle y est entrée, tandis que, sans le sou, j’attendais dehors.

J’ai regardé autour de moi. Il y avait une garderie, des bâtiments, une falaise d’un côté et cette rue dont la largeur me paraissait disproportionnée. L’ambiance, les cris des enfants, l’air ou je ne sais quoi ont évoqué les phrases d’un film : « Quand on arrive dans une nouvelle ville, on voit des bâtiments, vides de sens, vierges. Plus tard, on aura habité cette ville, on aura marché dans ces rues. On aura été au bout des perspectives. On aura connu ces bâtiments. On aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu dans cette ville, cette rue, on l’aura prise dix, vingt, mille fois. Au bout d’un moment, tout ça vous appartient, car on y a vécu. C’est ce qui allait m’arriver. Mais je ne le savais pas encore. »

C’était un extrait du film L’auberge espagnole.

Être immigrant, c’est aussi ça. C’est avoir des référents culturels différents. Ce sont des noms de rue qui ne réfèrent à rien. C’est ne pas comprendre une blague de Passe-Partout. C’est ne comprendre François Pérusse que dans ses versions « françaises » (avec guillemets péjoratifs). C’est écouter des chansons québécoises le jour de fête de la France…
C’est… s’adapter.

Alors, quelle est la clé d’une communauté accueillante? Pour moi : le facteur humain.

La clé, c’est Zoé qui ne s’offusque pas des chocs culturels de Nelson, même si ceux-ci sont socialement inacceptables. C’est la patience. L’empathie, appliquée à la culture.

Le commerce, c’était en fait le Chocolate Claim. Ce bâtiment devant moi, c’était le Centre de la francophonie. Au bout d’un moment, tout cela allait m’appartenir, car j’y aurais vécu. Mais ça, je ne le savais pas encore…

Strickland, Kluane, Carcross et Dempster ont pris place aux côtés des mots comme Stade de France, RER, ou La Villette. Mais comme tous les acquis, ça ne vient pas instantanément. Accueillir les immigrants, c’est peut-être juste cela. Donner du temps pour que ce qui nous est familier devienne peu à peu l’univers de l’autre. Sans jugement. Et avec empathie.