Dans une municipalité isolée comme Whitehorse, il n’est pas rare de croiser un ami à l’épicerie, un collègue à un concert ou un voisin dans un avion. Ainsi, la nature même de la petite ville encourage ses résidents à entretenir un vrai sens de la communauté. Cette proximité se retrouve bien entendu sur les réseaux sociaux, dont les Yukonnais sont très friands et sur lesquels on en arrive rapidement à partager avec une seule connaissance des dizaines, voire des centaines de contacts communs.
Lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, ces technologies de la communication peuvent rendre des services fort utiles. À titre d’exemple, la page Facebook d’achat-vente Whitehorse Buy and Sell, où l’on doit prouver son appartenance au Yukon pour pouvoir s’inscrire, compte presque 20 000 membres, soit environ les trois quarts de la population adulte du territoire.
Bien que ce système social en vase clos puisse offrir des opportunités de réseautage et de réels avantages aux internautes Yukonnais, la liberté dont ces derniers jouissent sur Facebook peut au contraire entraîner des dérives aux impacts communautaires inquiétants.
À l’image de la page Whitehorse Property Crime, qui compte déjà plus de 1500 membres après seulement onze jours d’existence, les initiatives d’individus excédés se multiplient en ligne. Partant d’une bonne intention – ladite page visant à garder les résidents informés des vols et des crimes survenus dans leur quartier – ces nouveaux outils de veille citoyenne ne sont toutefois soumis qu’au jugement et à la modération d’administrateurs bénévoles.
Sur la page Whitehorse Rants and Raves, où les membres sont ouvertement invités à dénoncer tout ce qui les irrite, des Yukonnais en arrivent désormais à publier des immatriculations de conducteurs jugés comme indélicats ou des visages de cambrioleurs présumés ayant été filmés par les caméras de sécurité des commerces du centre-ville. Récemment, c’est la photo d’un automobiliste, présenté comme un pédophile, qui a été publiée sur les réseaux sociaux yukonnais.
Cette propension des individus lambda à dévoiler en ligne l’identité et les biens des personnes de la communauté devient préoccupante. Non que la démarche n’ait aucun sens, mais celle-ci ne repose toutefois que sur la subjectivité d’une seule personne dont on ne connaît ni le profil ni les motivations réelles, et qui a presque toujours un parti-pris dans l’histoire. De l’initiative citoyenne et éclairée à l’acte de vengeance impulsif, la frontière est donc floue. Pour peu que les individus incriminés dans ces publications soient connus de la communauté – et c’est souvent le cas à Whitehorse – la zone de commentaires se mue rapidement en un exutoire nauséabond. Confortablement installés derrière leurs écrans, les internautes réfléchissent généralement peu avant de répandre calomnies et rumeurs invérifiables. D’un simple clic, une réputation irréprochable peut être ainsi injustement entachée. Cette nouvelle justice populaire bafoue surtout la présomption d’innocence. Au Yukon plus qu’ailleurs, ces tribunaux en ligne doivent donc faire l’objet d’un encadrement rigoureux afin de ne pas faire du lynchage en ligne une norme.