La plupart des conflits de voisinage tirent souvent leurs origines d’une dégradation volontaire, d’une nuisance olfactive ou d’un tapage nocturne à répétition. Le Yukon ne fait pas exception. À la différence que les disputes entre voisins peuvent impliquer jusqu’à 80 chiens à problèmes.
Le 11 octobre, le juge Leigh Gower de la Cour suprême du Yukon a rendu son verdict dans l’affaire opposant un collectif de voisins à la propriétaire d’un refuge pour chiens difficiles de Tagish. Le juge a reconnu à juste titre que les résidents pouvaient être exaspérés par les aboiements des animaux et a donné quatre mois à Shelley Cuthbert pour fermer son refuge et se séparer de ses pensionnaires. L’injonction du tribunal ne permet plus à la propriétaire de posséder plus de deux chiens sur son terrain.
Plusieurs voix se sont manifestées pour soutenir Mme Cuthbert et rappeler à l’opinion publique l’utilité du service qu’elle rend à la communauté en hébergeant et en tentant de rééduquer puis de placer des chiens difficiles. Depuis l’ouverture de son chenil en 2012, la propriétaire explique par ailleurs avoir subi des menaces et des intimidations. Ses biens et sa propriété auraient également été vandalisés, selon la police.
Ainsi, le malheur n’épargne personne dans cette histoire de voisinage. Pourtant, les détracteurs du verdict doivent reconnaître qu’il n’est pas acceptable d’imposer à ses voisins les nuisances sonores et olfactives de plusieurs douzaines de chiens difficiles.
L’hospitalité d’un Nord libre et sauvage et l’amour des chiens dont aiment à se réclamer beaucoup de Yukonnais ne peuvent constituer un argument sérieux lorsque les aboiements d’une véritable ménagerie viennent priver des riverains sans histoire du sommeil paisible et du quotidien silencieux que l’on peut espérer lorsque l’on choisit de s’installer dans une petite communauté comme Tagish.
Yukon oblige, la décision du juge de limiter à deux le nombre de chiens autorisés à vivre sur le terrain de Mme Cuthbert fait désormais se questionner la communauté des musheurs. À défaut d’y faire naître de réelles inquiétudes, la querelle de Tagish a toutefois démontré au petit monde du traîneau à chien que la justice du Yukon pouvait s’intéresser à l’activité des chenils et en fixer la limite en cas de plainte du voisinage.
Les grands titres n’ont cependant jamais fait état d’un tel conflit entre un musheur et ses voisins. Il est vrai que la différence entre une meute de chiens de traîneaux et une colonie de cabots à problèmes est flagrante et une cohabitation simplement marquée par quelques concerts d’aboiements quotidiens se passe donc le plus souvent sans heurts.
L’injonction du juge visant à limiter le nombre de chiens que Mme Cuthbert pourra conserver sur sa propriété n’a donc pas vocation à faire jurisprudence au Yukon, mais on peut toutefois se demander si l’affaire de Tagish n’ouvrira pas désormais plus facilement la porte à d’autres plaintes cette fois dirigées contre les chenils des musheurs yukonnais. Mme Cuthbert avait par ailleurs choisi d’assurer sa défense elle-même et le fiasco de ses arguments au juge — « Mes chiens aboient, il n’y a aucun doute qu’ils aboient. Ce sont des chiens », pourrait faire miroiter une victoire facile aux aspirants plaignants.