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le Mercredi 5 avril 2017 15:10 Éditoriaux

Ces questions qui brûlent les lèvres

Alors que le gouvernement Trudeau révélera d’ici quelques jours le contenu de la loi libérale de légalisation du cannabis, les Canadiens s’interrogent à tout-va sur ce sujet de société d’autant plus symbolique que la mesure devrait entrer en vigueur le 1er juillet 2018.

Une bonne partie de la population canadienne semble ainsi convaincue que la légalisation de la marijuana va modifier du jour au lendemain le portrait social du Canada. S’imaginer des hordes de poumons vierges devenir subitement dépendants au cannabis par la simple magie de la légalisation relève cependant du fantasme. Dans leur grande majorité, les fumeurs canadiens ne se privent pas de leur joint par conscience légale. Ceux-là consomment déjà et cela donne tout son sens à la légalisation du cannabis.

On réalise notamment que les pouvoirs publics auront fort à faire en matière de prévention et de sensibilisation quand on apprend que de nombreux citoyens craignent que cette loi s’accompagne de la liberté de fumer dans les restaurants et les lieux publics.

Ces associations d’idées amènent ces mêmes citoyens à penser que les enfants auront accès aux cookies au pot puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un petit biscuit sec aux pépites de chocolat. On pourrait croire que ces considérations simplistes fussent l’œuvre d’un troll si ces enjeux et d’autres n’étaient pas débattus avec passion par des commentateurs en ligne un peu trop naïfs.

Les syndicats commencent eux aussi à faire grand bruit des répercussions que la légalisation du cannabis aura sur les milieux de travail. Une fois encore, il est important de comprendre que la plupart des consommateurs ne se présentent pas au travail les yeux rouges et la pupille dilatée. Prétexter la légalisation du cannabis pour se présenter intoxiqué devant son employeur n’engagerait que la responsabilité d’un employé de mauvaise foi.

Les employeurs ont certes des raisons de penser que certains de leurs collaborateurs pourraient se laisser aller à de telles dérives, et ils se doivent de les sensibiliser aux règles. Le cas échéant, n’en va-t-il pas simplement de leur responsabilité de les renvoyer à la maison comme il le ferait d’un employé trop alcoolisé? L’appréciation du degré d’intoxication est cependant toujours sujette à débat, mais cela ne change guère qu’il s’agisse d’alcool ou de drogue. Ainsi, pas de quoi fouetter un chat.

La consommation au volant fait également jaser à tort et à travers. Bien que toutes les recherches scientifiques démontrent qu’une consommation de cannabis provoque un affaiblissement des facultés cognitives — soit la concentration, l’attention, la mémoire, la coordination et la perception du temps — la substance aiguiserait les sens de certains conducteurs. Un argument fallacieux avancé par des consommateurs ignorant l’impact du THC sur les processus chimiques à l’œuvre dans le cerveau. Contrairement à l’alcool, la prise de cannabis laisse en effet le conducteur conscient de ses limites et moins enclin à prendre des risques, mais cela ne le rend pas moins dangereux, selon les études et les expériences de terrain de Johannes Ramaekers, psychopharmacologue à l’Université de Maastricht, aux Pays-Bas, où la consommation de cannabis est tolérée depuis plus de 40 ans.

Dans sa loi de légalisation, le gouvernement devra ainsi se donner les moyens techniques et juridiques de condamner avec plus de sévérité les conducteurs intoxiqués. Il en va de sa crédibilité face à l’opinion publique. Il va sans dire que l’histoire d’un enfant renversé par un fumeur de joint constituerait à tort ou à raison l’un des plus grands cauchemars politiques de Justin Trudeau.

Le flot de ces discussions plus ou moins crédules — mais légitimes — soulève toutefois des enjeux originaux. On sait en effet que la future loi fédérale autorisera la culture du cannabis à raison de quatre plants par ménage. Cette perspective inquiète d’ores et déjà les propriétaires de logements locatifs qui craignent une baisse de la valeur de leurs biens. Déjà frileux à l’idée de louer leurs logements à des consommateurs de tabac, les propriétaires devront désormais composer avec les vapeurs de cannabis et l’odeur des plants qui pourraient indisposer le voisinage. Dans une moindre mesure, les lampes de culture pourraient également créer un risque supplémentaire d’incendie et justifier un bail proscrivant toute culture ou consommation de cannabis. De là à ce que la mention N/G (not growing) ne vienne allonger la liste des N/P, N/S et autres interdictions communément admises dans les petites annonces de Kijiji Yukon, il n’y a qu’un pas.