Sauriez-vous citer le point commun entre un vieux fil de fer tordu, un aspirateur sans tuyau et un essuie-glace usagé? Au cours des derniers mois, vous pouviez retrouver ces trois articles et bien d’autres babioles accumulés dans les parages du magasin de l’Armée du Salut de Whitehorse. Ces déchets ménagers considérés à la hâte comme une offrande légitime aux rois de la récup auront finalement précipité la chute du pittoresque bazar yukonnais. Submergé de ces bricoles invendables et déjà victime d’une gestion douloureuse et d’une baisse de ses ventes, le commerce fermera définitivement ses portes en avril.
Le comptoir de l’Armée du Salut a hérité une bonne partie de sa situation des conséquences de la fermeture du magasin gratuit de la décharge municipale. Cela impliquait d’absorber le ramassis d’articles dont la Ville voulait à juste titre abandonner la vaine gestion. Bien qu’une infime proportion de ces dons douteux puisse effectivement faire le bonheur d’un jeune en galère ou d’un bricoleur du dimanche, on constate malheureusement qu’une grande partie de ces déchets, quelquefois même lâchement abandonnés sous les porches endormis de l’Armée du Salut, reprennent bien vite le chemin de la décharge municipale. Tout cela aux frais de Sally Ann.
Certes, bien des Yukonnais sont désormais dans le deuil de leur échoppe favorite. Mais combien d’hypocrites sont-ils à s’être soulagés de leur barda au prétexte d’aider les plus démunis? Quand vient le temps de vider la cour à scrap, soyons certains que quelques individus ne reculeraient devant rien pour éviter de trier leurs recyclables ou économiser quelques dollars de frais de décharge.
La mésaventure du magasin de l’Armée du Salut vient une nouvelle fois soulever la problématique plus grande de la gestion des déchets à Whitehorse. Et celle-ci vient immanquablement nous rappeler à l’outrance de la surconsommation. On se sent certes fiers d’apporter sa pierre à un système de seconde main solidaire. Avouons-nous cependant que nous sommes encore nombreux à avoir tendance à négliger les vraies raisons qui nous poussent à remplacer nos biens par le nec plus ultra du marché.
Le Yukon n’échappe pas à la règle capitaliste et son nombre limité de commerces ne semble pas constituer un frein majeur à la consommation des ménages. Le marketing a par ailleurs depuis longtemps trouvé sa place sur la Toile et ses meilleures techniques sont parvenues à convaincre des milliers de consommateurs que le bonheur s’achète au premier clic du coin.
En généralisant le principe de l’obsolescence programmée à toute une gamme de produits de grande consommation, les grandes industries parviennent aujourd’hui même à mettre des bâtons dans les roues des écolos les plus résolus. Les téléphones Apple se succèdent à une fréquence honteuse et donnent aux consommateurs les plus passionnés un tel sentiment d’inachèvement qu’on les retrouve à camper devant leur iStore un jour de lancement de produit. À l’autre bout du spectre, on trouve aujourd’hui à Walmart des t-shirts neufs à seulement 2 $. Pour les plus démunis, le bas de gamme de l’habillement n’était donc déjà certainement plus l’apanage du magasin de l’Armée du Salut.
A contrario, une ampoule brille depuis 116 ans au plafond de la caserne de pompiers de Livermore, en Californie. Si les manufacturiers du monde entier avaient conservé les mêmes normes techniques de fabrication qu’à l’époque, les magasins de seconde main seraient peut-être moins populaires aujourd’hui et la planète s’en porterait certainement bien mieux. Mais pas le profit. Avant de jeter leurs biens en pâture à leurs concitoyens les moins bien lotis, les Yukonnais devraient donc possiblement pouvoir interroger leur conscience pour déterminer le juste équilibre entre une envie équivoque et un besoin raisonnable et fondé.