L’émotion causée par la chute de nos conservateurs yukonnais n’est en rien comparable au traumatisme que vit encore la majorité de l’électorat américain. Mais les Yukonnais auraient toutefois tort de se croire à l’abri des dérives républicaines : les urnes étaient encore chaudes que les républicains de l’Alaska avouaient déjà vouloir forer les terres des caribous de la Porcupine. Au nom de la grande « révolution énergétique » promise par le président Trump. Triste coïncidence : la Peel était en somme sauvée lundi. Mardi, l’Amérique condamnait le refuge faunique national Arctic.
Le manque de considération dont a fait preuve le gouvernement Pasloski sur des sujets comme l’environnement ou le respect des ententes sur les revendications territoriales des Premières Nations a certainement précipité sa défaite électorale. Cela dit, cet argument ne s’appliquait pas avec la même pertinence aux enjeux de la francophonie yukonnaise. Le Parti du Yukon n’avait certes pas hissé le bilinguisme au sommet de ses priorités, mais force est de constater que l’Administration Pasloski a finalement admis la nécessité de financer la construction d’une nouvelle école francophone. Pour sa part, l’immersion française est au beau fixe et l’on constate dans nos pages que les ministères font désormais l’effort de communiquer plus souvent leurs messages en français. Petit à petit, la francophonie fait son nid.
De nombreux défis doivent encore être relevés dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’employabilité, selon l’Association franco-yukonnaise. Mais bien que l’égalité linguistique ne soit pas encore une réalité au Yukon, ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’affirmer que les années de pouvoir des conservateurs ont freiné le développement de la francophonie yukonnaise. Faut-il pour autant pleurer Pasloski et s’inquiéter de l’avènement de Sandy Silver?
Les libéraux en campagne — comme le NPD et le Parti du Yukon — se sont donné la peine de partager dans leur programme leur vision de la francophonie yukonnaise, et l’on ose espérer que cet intérêt marqué pour les questions relatives à l’éducation et à la santé en français dépassait les simples machiavélismes du bavardage électoral.
Les sept promesses électorales publiées par les libéraux dans notre édition du 26 octobre (p. 11) ne semblent toutefois pas traduire la volonté d’une quelconque rupture avec les politiques précédemment menées par les conservateurs. À vrai dire, ces sept engagements se font simplement l’écho de la plupart des priorités mises en avant par l’AFY dans le document de positionnement politique « Agir pour une communauté francophone vibrante et dynamique au Yukon ». À ce point-ci de l’affaire, on ne pourra donc pas reprocher aux libéraux d’avoir trahi un slogan de campagne conçu pour prendre le contrepied des politiques unilatérales de Darrell Pasloski (« Be Heard », « Soyez entendus »).
Une inconnue subsiste
La défaite électorale de la ministre Taylor prive cependant la communauté francophone d’un fervent soutien politique et la grande question se pose désormais de savoir qui lui succédera à la tête de la Direction des services en français (DSF). Au-delà des considérations politiques, Elaine Taylor a toujours su se démarquer par son engagement au sein de la communauté francophone. En témoignent notamment ses discours en français et sa présence aux grands événements de la francophonie yukonnaise. Qui sera à la hauteur du poste, oserait-on désormais demander.
Pressentie par les libéraux pour faire le lien avec la communauté francophone, la candidate bilingue Jeane Lassen a finalement été battue par la néo-démocrate Kate White dans sa circonscription de Takhini Kopper-King. Sandy Silver ne pourra donc pas compter sur Mme Lassen aux affaires francophones, mais le premier ministre a cependant prouvé qu’il savait s’entourer d’une équipe composée de profils complémentaires. Le caucus libéral comprend désormais aussi bien des élus autochtones que des acteurs communautaires et d’anciens politiciens ou juristes.
Le portefeuille de la francophonie yukonnaise pourrait-il se retrouver sur le bureau du député de Mont Lorne – Lacs du Sud? La circonscription de John Streicker ne manque pas de francophones. Bien que la maîtrise de la langue ne soit pas en soi un marqueur déterminant pour faire progresser le dossier de la francophonie yukonnaise, M. Streicker parle par ailleurs un peu le français. Il est un homme de science que l’on peut espérer rationnel et connaît bien les enjeux de sa communauté. Toutefois conscient des forces et des faiblesses de chacun, Sandy Silver destine probablement M. Streicker aux grands ministères. De 2012 à 2015, le député a en effet été conseiller municipal à la Ville de Whitehorse et l’on peut penser que le premier ministre souhaitera certainement exploiter cette expérience politique.