Bien que la classe fasse partie de ces concepts totalement subjectifs qui devraient être laissés à l’appréciation de chacun, la chanteuse Safia Nolin a fait l’objet de moqueries pour son discours et sa tenue vestimentaire lors du gala de l’ADISQ. Cet épisode malheureux nous rappelle que ces cérémonies culturelles sont bien plus qu’un hommage aux artistes et continuent d’être de formidables outils de propagande soutenant les projections et les fantasmes de nos moi intangibles.
Le talent culturel ne devrait cependant jamais être jaugé à l’aune du faste qui l’accompagne. Safia Nolin s’est présentée avec la franchise des gens de confiance et plus d’un aurait gagné à s’inspirer de cette authenticité et de cette joie spontanée. Ses compositions empreintes de poésie ont bien fait d’elle la révélation de l’année. Alors un p’tit criss en blue-jean relève certainement plus de l’anecdote que d’une offense au bon goût.
La tenue vestimentaire de la costumière Jenny Beavan avait aussi été raillée par le public de la dernière cérémonie des Oscars du cinéma. Et Kurt Cobain n’était pour certains qu’une bête hurlante aux attirails déchirés, mais toute une génération en a fait son symbole. Bukowski et Ginsberg n’y sont pas non plus allés de main morte avec les mots, mais leurs plumes fondatrices sont entrées dans l’histoire littéraire. Mais les précédents n’ont pas fait force et le mensonge des apparences a encore eu raison de la fraîcheur des plus francs.
Safia Nolin aurait dû jouer le jeu, dit-on, car l’acceptation des codes et des protocoles vient avec le prix. C’est le respect du public qui est en jeu. Comprenons par là qu’il vaut donc mieux se mentir à soi que de risquer de frustrer les idéaux des fans. Au diable l’honnêteté! Le respect d’autrui ne se traduit dorénavant plus par un message de joie sincère, mais par une robe Gucci et une paire de talons hauts. Cela ne signifie pas qu’il faille jeter la pierre aux étoffes luxueuses. Les grands couturiers sont d’ailleurs eux-mêmes des artistes, et l’on peut certainement prendre plaisir à revêtir leurs créations en société. Ce choix personnel ne s’en trouvera perverti que si nos intentions finissent guidées par le regard de l’autre et son corollaire égotique.
Safia Nolin ne s’est donc sûrement pas fendue du plus châtié des langages. Mais tasser ses discours et son imagination dans la petite case étriquée de la bien-pensance tuera l’essence même de l’artiste. Voulons-nous vraiment voir défiler lors des cérémonies de remise de prix des dandys sans saveur et des clones bon chic bon genre formatés aux normes esthétiques communément admises par une société toujours plus écœurante de platitude?