La Journée à la mémoire des travailleuses et des travailleurs tués ou blessés au travail avait cette année une résonance particulière, puisqu’elle marquait également le 10e anniversaire du décès tragique de Jean-François Pagé. Le 28 avril 2006, le jeune homme avait été tué par une femelle grizzly après s’être malencontreusement approché de la tanière où s’abritaient ses petits. L’accident était survenu à 26 kilomètres à l’est de Ross River, alors que le francophone jalonnait un claim minier pour le compte de l’entreprise Aurora Geoscience.
Un an plus tard, le gouvernement du Yukon et la Commission de la santé et de la sécurité au travail lançaient une procédure contre l’employeur. Les plaignants reprochaient à Aurora Geoscience toute une série de négligences touchant notamment aux procédures, à l’équipement et à la formation dispensée aux employés. À la lumière de nouvelles informations finalement jamais révélées, le gouvernement avait cependant renoncé à toutes ses accusations à quelques jours de l’ouverture du procès.
La mort ne donne pas de rendez-vous, dit le proverbe, mais le département des communications de la Commission de la santé et de la sécurité au travail aime à répéter que tout le monde devrait pouvoir rejoindre sa famille une fois sa journée terminée, et que personne ne devrait mourir au travail. En l’absence de verdict, la question se pose donc encore aujourd’hui à savoir si cet accident de travail — puisque c’en est un — était évitable.
L’enquête avait démontré que Jean-François Pagé avait bel et bien reçu une formation sur la sécurité en milieu sauvage, mais la victime n’était équipée, il est vrai, d’aucun répulsif à ours à l’heure de l’attaque. Quand bien même le jeune homme aurait été convenablement équipé pour se défendre, la fulgurance de l’attaque lui aurait-il laissé la moindre chance de dégainer son gaz poivré? Jean-François Pagé n’a en effet pu se signaler que quelques secondes par radio avant que la communication soit rompue. Le sympathique et nonchalant balancement d’un grizzly n’est qu’illusion. Ceux-ci courent, nagent et grimpent bien plus vite qu’un homme. Ainsi, malgré leurs armes, certains chasseurs sont eux aussi morts de ne pas avoir pu réagir assez vite à une attaque d’ours.
Dans les bois, on peut certainement suivre quelque procédure professionnelle, mais les règles du travail — au sens bureaucratique du terme — ne peuvent être que bouleversées par la nature même de l’environnement. Ainsi, bien qu’aujourd’hui GPS, cartouches anti-ours et bombes poivrées fassent partie intégrante de l’équipement des jalonneurs yukonnais, certaines situations sont et resteront pour toujours imprévisibles, nonobstant les heures de formation théorique et l’équipement de pointe. Rappelons-nous seulement 2012 et la terrible aventure de Sophie Jessome, emportée dans la pente par un rocher aussi gros qu’elle. Gravement blessée, la jeune Yukonnaise s’en était miraculeusement tirée. Elle aussi travaillait pour une entreprise de prospection minière. L’accident aurait-il pu être évité?
Avec le retour du printemps, vous découvrirez dans cette édition de l’Aurore boréale une double-page Spécial plein air et quelques bons conseils pour profiter au mieux du Yukon et tenir éloignés de vos cours nos amis les ours. Bonne lecture!