Pour la troisième fois en cinq ans, le printemps est synonyme de coupes à Radio-Canada/CBC. Après 2009 et 2012, on a encore annoncé au début avril des compressions budgétaires chez le diffuseur public. Cette fois-ci, elles sont de l’ordre de 130 millions de dollars. Cela s’ajoute aux coupes de 171 millions en 2009 et de 115 millions en 2012.
Résultat : si on suit le plan prévu, d’ici 2015, la télévision publique canadienne sera subventionnée à raison de 29 $ par habitant. À titre comparatif, la moyenne dans les pays industrialisés est de 87 $ par habitant.
La CSN a lancé trois vidéos humoristiques sur le sujet. Mais attention, ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle. On y suit les aventures de Stéphane qui a été engagé pour faire le ménage à Radio-Canada. Et on ne parle pas de propreté des lieux. On peut voir ces vidéos sur le site « Les amis de Radio-Canada » (http://amisderadiocanada.com/). La revendication au cœur de cette campagne est de revenir à un financement annuel totalisant 40 $ par habitant.
Mais bon, tout cela ce ne sont que des chiffres et des questions d’argent. Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand on dépasse le million, je perds toute perspective.
Pour ramener le tout à une perspective humaine : 657 emplois seront abolis d’ici deux ans, dont 312 du côté francophone. Depuis 2009, c’est un total de 2 100 emplois qui ont été perdus.
Concrètement, c’est sûr que cela va affecter la qualité du service. Et c’est là que c’est inquiétant, particulièrement pour les francophones en milieu minoritaire. Est-ce qu’on va se retrouver avec une culture francophone unique avec l’ensemble des émissions produites à Montréal pour économiser des coûts? Est-ce que le contenu régional sera appelé à disparaître?
Déjà, le service des sports est touché. Bon, quand on parle de millionnaires qui se battent pour la possession d’une rondelle, c’est un moindre mal. C’est un domaine payant et ce créneau, loin de disparaître, sera repris par un diffuseur privé. Mais qu’en est-il du sport amateur? Ces athlètes moins glamour, souvent loin des feux de la rampe, ne pouvaient souvent compter que sur le diffuseur public pour avoir un peu de visibilité. Qui reprendra le flambeau? Car, soyons clairs, ce n’est pas payant.
En coupant ainsi dans le sport, mais aussi dans d’autres domaines moins rentables comme la culture et l’information régionale ou trop coûteuse comme les séries dramatiques (particulièrement les séries lourdes), Radio-Canada se coupe de son essence. Oui, on peut trouver de la télévision ailleurs, mais les réseaux privés n’ont pas les mêmes objectifs. Ils cherchent, avec raison, à toucher le plus de gens possible, à offrir des produits populaires. Et c’est bien. Mais n’oublions jamais que le hamburger le plus populaire est le Big Mac. Qui voudrait ne manger que cela pour le reste de sa vie? Ça prend un espace d’exploration pour promouvoir des sujets moins populaires, prendre des risques, etc. Le but de la société d’État est de divertir, bien sûr, mais aussi de renseigner et d’éclairer les auditeurs. Radio-Canada a le mandat de refléter la réalité de tous les Canadiens, même les francophones en milieu minoritaire, et je dirais même, particulièrement eux. Car personne d’autre ne va le faire. Ils ne sont pas payants selon la logique du marché.
En sabrant les subventions à la société d’État, en lui demandant d’augmenter ses revenus publicitaires, de jouer le jeu du marché, on fait en sorte que la société d’État devienne un réseau privé comme les autres. Et à ce moment, elle perd sa raison d’être. À moins que ce ne soit justement le but : faire disparaître cette institution au moment où, au contraire, elle aurait besoin de soutien pour s’adapter aux nouvelles réalités (entre autres, le développement du numérique et des plateformes Web) et continuer de jouer son rôle de précurseur.
On peut ne rien faire. Après tout, pour la plupart, nous ne travaillons pas pour Radio-Canada. Ça ne nous touche pas directement. Et demain, nous allons continuer à avoir la radio et la télévision en français au Yukon. Mais si nous ne disons rien, dans un mois, dans un an, dans dix ans, il n’y aura plus d’information en français au Yukon. Et il sera trop tard pour se lever.
Ça me fait penser à une citation de Martin Niemöller :
Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester.