Il y a 6 000 km entre Québec et Whitehorse, pourtant l’onde de choc des dernières élections provinciales québécoises s’est rendue jusqu’ici. Il faut dire que pour les Canadiens, qu’ils soient francophones ou non, cette élection avait une importance particulière puisqu’elle s’est jouée en grande partie sur la question référendaire.
Pourtant, personne n’aurait pu prédire cela au jour 1 des élections. Personne ne parlait alors de pays. On se lançait des attaques personnelles comme jamais dans une campagne, alors sous le signe de la Charte des valeurs… et de l’intégrité (ou la corruption, c’est selon). Pour montrer qu’ils étaient plus blancs que blancs, ceux qui briguaient le poste de premier ministre ont même procédé à un effeuillage de leurs avoirs.
Lors de l’annonce du déclenchement des élections, le gouvernement sortant semblait bien en selle. Les sondages le donnaient gagnant et le principal concurrent était éclaboussé par les révélations de la Commission Charbonneau. Malgré certains dérapages sur la question de la charte, le Parti québécois pouvait légitimement penser qu’il gagnerait suffisamment de comtés pour obtenir un mandat majoritaire.
Puis, lors de la présentation de Pierre-Karl Péladeau, les choses ont dérapé quand le candidat vedette a levé son poing dans les airs pour parler de référendum. Bon, soyons honnêtes, les sondages démontrent que l’opinion publique avait commencé à bouger avant, mais, de l’avis de la plupart des commentateurs, ce fut tout de même le point moment tournant de la campagne.
Cet élément permet de souligner le problème fondamental du Parti québécois, un malaise très profond. Lors d’une campagne, il peut se faire plomber par la question référendaire, alors que c’est le point 1 de son parti. La simple mention d’un référendum fait en sorte que de nombreuses personnes qui autrement auraient voté pour le PQ ou pour n’importe quel autre parti que celui des libéraux ont décidé de voter rouge pour contrer la menace séparatiste. Malgré les scandales de corruption, malgré les doutes sur l’intégrité de plusieurs ténors du Parti libéral. Pourquoi? Parce qu’il fallait rassembler ses forces devant un péril plus grand.
Il faut dire que l’arrivée de Pierre-Karl Péladeau rendait la menace plus tangible. Jamais n’avait-on vu un homme d’affaires aussi puissant et aussi en vue prendre position de façon si claire pour l’indépendance. On était habitué d’entendre des artistes, des rêveurs, des intellectuels, des philosophes. Mais là, c’était un homme d’affaires prospère qui nous a habitués à des tours de force. L’homme qui a ravivé (avec le maire Labeaume) l’espoir de revoir les Nordiques à Québec.
Si cela n’a pas eu l’effet rassembleur voulu chez les partisans de l’indépendance du Québec, cela a été mobilisateur chez tous ceux qui sont contre l’idée de la séparation. D’un bout à l’autre du pays, des voix se sont levées pour parler d’un référendum que, de toute évidence, la majorité du peuple québécois ne veut pas.
Résultat : une débâcle totale. Pauline Marois a été battue dans son propre comté avant de démissionner à titre de chef du Parti québécois. À peine 25 % des gens ont appuyé la formation, c’est 2 % de plus que pour la Coalition Avenir Québec, une formation que plusieurs voyaient à l’agonie au déclenchement des élections. Le Québec est donc passé de 53 à 30 députés péquistes. Plusieurs gros noms se sont fait battre.
Un million quatre cent mille personnes avaient voté pour le PQ en 2012, contre 1 075 000 personnes en 2014. Plus de 300 000 personnes ont donc tourné le dos à la formation politique. Lors de la même période, sensiblement le même nombre de personnes se sont ralliées au Parti libéral. Pas le choix de se remettre en question en voyant ça. D’autant plus que le Parti québécois ne pouvait pas dire qu’il était usé par le pouvoir; il était en poste depuis moins de deux ans. Et on ne peut pas dire que c’est parce que le Parti libéral a été particulièrement brillant : un chef qui n’attire pas la sympathie, des scandales à la tonne, etc.
Le message des Québécois est donc clair : dans sa forme actuelle, le Parti québécois ne répond pas à ses besoins. Pire encore, la seule mention de la possibilité d’un référendum est suffisamment puissante pour pousser une large part de l’électorat à voter pour le Parti libéral, même si le parti ne les rejoint pas.
On aura beau analyser la campagne sous tous les angles, relever les erreurs stratégiques (et elles sont nombreuses, à commencer par l’idée de déclencher des élections à ce moment, plutôt que de forcer l’opposition à porter l’odieux de ramener les gens aux urnes), un fait demeure : le Parti québécois devra réfléchir sur sa structure même. Ce parti a pris naissance avec un projet de société qui rassemblait autant des gens de droite que de gauche. Mais depuis, le peuple a parlé et le projet ne se concrétisera pas. Il est tant de passer à autre chose. D’autant plus que le poids démographique des francophones au Québec diminue chaque année.
La bonne nouvelle pour le Parti québécois? Il reste quatre ans avant les prochaines élections. C’est suffisamment long pour se remettre en question. En commençant par l’article 1. Et si au lieu de défendre la langue en bâtissant un pays, on trouvait une façon de protéger la culture et la langue francophones à travers le Canada? Juste une idée comme ça. Espérons que les troupes péquistes en tirent une leçon avant de se lancer dans une campagne à la chefferie. Surtout qu’historiquement, ces campagnes ont surtout permis de provoquer des guerres intestines.