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le Mercredi 2 avril 2014 9:22 Éditoriaux

Pas de commission sur la violence contre les femmes autochtones

Le gouvernement canadien a décidé de ne pas mettre en place de commission d’enquête publique sur les meurtres et disparitions des femmes autochtones au Canada. Pourtant, il y a de nombreux cas documentés à travers le pays, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Malgré les recommandations des libéraux, des néo-démocrates, des groupes autochtones, des groupes de femmes – et même de l’ONU –, le comité parlementaire spécial qui se penchait sur la question a déposé un rapport qui ne recommandait pas la tenue d’une commission.

Pourtant, les chiffres donnent froid dans le dos. L’Assemblée des Premières nations estime à 600 le nombre de femmes autochtones portées disparues ou assassinées dans les vingt dernières années. Six cents!

Et ce, sans parler des cas de traite de femmes. Juste d’écrire ces mots me semble absurde, traite de femmes. En 2014! Au Canada! La traite des humains, on se dit que ça s’est terminé avec la Guerre de Sécession. À la limite qu’on en trouve ailleurs. Loin d’ici. Mais là aussi, on ne parle pas que d’un ou deux cas isolés. C’est un fléau qui touche toutes les régions du Canada. Par exemple, en Ontario, on recense un trafic de femmes amérindiennes entre Thunder Bay et les États-Unis. Dans certaines communautés isolées, c’est encore pire. Le cas du Nunavut a été documenté, mais il y a bien d’autres milieux à risque.

Mais je m’égare. Revenons à la commission publique qui n’aura pas lieu.

Il me semble qu’après le mouvement Idle No More qui a fait tant parler l’an dernier, le gouvernement canadien tenait entre les mains une occasion en or de se rapprocher des Premières nations. Eh bien, il semble que le rendez-vous sera encore manqué.

Par contre, il faut souligner que ce ne sont pas tous les conservateurs qui s’opposaient à la tenue d’une commission publique. Ryan Leef, le député fédéral du Yukon faisait partie de ceux qui demandaient une enquête publique. On peut être dur envers nos élus quand ils le méritent, mais j’ai grandement apprécié son commentaire lorsqu’il a dit dans une entrevue à Radio-Canada : « On m’a envoyé à Ottawa pour représenter le Yukon, et je pense que le Yukon est très clair sur la question depuis plusieurs mois. »

Malheureusement, le poids politique de M. Leef, comme celui de ceux – et ils sont nombreux – qui appuyaient la démarche n’a pas été suffisant.

Cela nous ramène donc dans un climat de confrontation. Et les partisans de la commission d’enquête ont monté aux barricades, dans tous les sens du terme. Mi-mars, des manifestants autochtones ont bloqué la voie ferrée dans le sud de l’Ontario pour dénoncer l’inaction du gouvernement canadien.

Que ce soit par le biais de la commission d’enquête ou par un autre moyen, il faut absolument qu’il y ait une réflexion sur ce sujet et des actions concrètes pour remédier à cette situation. On ne parle pas d’incidents isolés, mais d’un problème de société. D’autant plus que les histoires de meurtres et de disparitions ne sont pas propres aux régions éloignées. On recense ces histoires dans toutes les parties de notre grand pays, des petits hameaux ou grands centres urbains.

Et ce n’est pas uniquement une histoire de couleur de peau. L’histoire de Loretta Senders en est un bon exemple. On ne parle pas de l’autochtone typique. Bien qu’elle soit d’origine inuite, cette jeune femme dans la mi-vingtaine était blonde aux yeux bleus. Sa disparition le 13 février à Halifax a fait parler coast to coast. On l’a retrouvée morte deux semaines plus tard. Comble de l’ironie : elle travaillait justement sur un projet de mémoire… sur la disparition des femmes autochtones au Canada. Tout ça quelques semaines avant le début du rapport de la Commission parlementaire. On aurait pu croire que ça aurait un impact… Eh bien, non!

Au-delà des disparitions et des morts, les statistiques démontrent qu’il y a un grave problème de violence envers les femmes autochtones. Selon Statistique Canada, elles sont trois fois plus susceptibles d’être victimes de violence. C’est le genre de chiffre qui devrait faire réfléchir. La situation ne pourra se changer en un tour de main, mais il faut commencer à se pencher sur ce sujet si on veut trouver des pistes de solutions. Et celles-ci prendront plusieurs formes : éducation, relation entre les corps policiers et les membres des Premières nations, etc.

Une pièce comme The Hours that Remain présentée dernièrement à Whitehorse et Dawson traitait de ce sujet en parlant de l’autoroute des larmes, la route 16 entre Prince Georges et Prince-Rupert où il y a eu plusieurs cas de disparition de femmes.

Heureusement, il y a des initiatives provinciales, comme le projet Kare en Alberta ou l’unité Project Devote au Manitoba qui se penchent sur la violence envers les femmes autochtones. Mais il serait temps que le ministère de la Justice canadien prenne les choses en main et fasse preuve de leadership dans ce dossier.