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le Jeudi 7 novembre 2013 17:00 Éditoriaux

Où le rythme des saisons sans rime ni raison emménage de toute façon

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Dans la nuit du 2 au 3 novembre, les horloges grands-pères ont fait trois tics tacs à reculons. L’heure avancée a disparu sur la pointe des pieds sans réveiller personne – aussi tranquille qu’un sénateur présentant ses allocations de dépenses!

L’heure avancée a une longue histoire. Elle a été mise de l’avant par Benjamin Franklin — dit l’astucieux — en 1784 afin d’économiser de l’énergie. Depuis, de nombreux pays ont emboîté le pas; en 2006 le Yukon a ajusté sa montre à celle des voisins américains qui voulaient courtiser la luminosité estivale pendant quatre semaines de plus. Voilà pourquoi l’heure normale arrive si tard dans la saison. Dans les conversations au coin du feu, sa venue supplante tous les sujets après quelques longs bâillements. « Je n’arrive pas à me réveiller. J’ai hâte d’aller me coucher ». Très rarement on entendra : « Mon cycle circadien est complètement renversé ». Mais comment une toute petite heure peut-elle déranger autant? Tout est relatif, diront certains. Un retard d’une heure à l’aéroport peut être catastrophique alors que l’arrivée de la lumière dans une matinée déjà si tardive pourrait passer inaperçue. Et c’est d’autant plus vrai pour les régions nordiques.

Une étude réalisée au sein des bureaux de l’Aurore boréale estime que les gens du Nord — qui sont souvent de grands voyageurs — accumulent le décalage horaire comme d’autres collectionnent les petites cuillères ou les épinglettes. La première conséquence de ces chamboulements à répétition est une endormitoire (prononcé endormitouère) (Besoin de sommeil, envie de dormir : Le Glossaire acadien, Éditions d’Acadie.) sournoise et contagieuse. Mais un malheur n’arrive jamais seul… Dans le cas qui nous occupe, une vilaine impression que tout se passe au mauvais moment poursuit aussi les personnes affectées. Leur horloge biologique est à plat. Irascibles, irritables, fatigués et souffrant de constipation, elles sont faciles à reconnaître. Le remède à tous leurs maux réside dans l’attente placide du temps qui passe. Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage… disait Jean de La Fontaine à une époque pourtant où personne n’aurait osé toucher à un cadran solaire. En 1913, Marcel Proust se penchera aussi sur la question… dans une œuvre monumentale dont la lecture peut peupler tout un hiver : À la recherche du temps perdu.

Le retour au temps normal et l’absence de lumière provoquent le sommeil et l’envie de broyer du noir. Toutefois, cette éternelle oscillation n’influence pas tout le monde de la même façon. Ainsi, les poètes et les bardes du vague à l’âme se sentent revivre. La vastitude des nuits étoilées, la magie des aurores boréales et la grande paix froide et neigeuse nourrissent leur imaginaire. Rêvant au bord du fleuve Yukon, ils font provision de brouillard bleuté et de beauté ambulatoire. Au petit matin, ils rédigent des rapports nocturnes fleuris de lumières mystérieuses. Pour eux, tout est bien. Le grand sablier du temps fonctionne sans tiquer et ils n’en sont pas à une heure près.