L’automne attise les dispositions et les instincts de la société nordique. Cette année, la saison a pris son temps avant de s’installer, telle une reine indolente repoussant l’heure du lever. Mais une fois campée, la saison a puisé dans son sac à malices. Et du jour au lendemain, les hommes et les femmes ont compris de grandes vérités liées au changement et à la prévoyance. Ce sont les écureuils roux, chenapans de toujours qui ont vendu la mèche. Ils orchestrent la cérémonie en décochant des cônes d’épinette à quiconque pénètre dans leur immense garde-manger : la forêt de conifères.
Comment une bête si petite peut-elle prétendre à l’immensité de ce royaume? Les prétentions territoriales du petit mammifère sont gourmandes. Les questions de terrain intéressent aussi les gens, pas juste les écureuils (écureux, comme disait mon père). Ainsi au Yukon, de nombreux automobilistes affichent des autocollants réclamant la protection du bassin de la rivière Peel.
Sur la route Canol, les petites rivières Rose irriguent le paysage. Ici, elles suivent la route sinueuse, là, elles s’en éloignent de façon capricieuse et se dirigent vers les montagnes massives saupoudrées de neige matinale. Les tentes prospecteurs poussent comme des champignons : les chasseurs sont installés. Un petit poêle de tôle réchauffe leur sommeil peuplé de panaches éléphantesques; son ronflement régulier fait oublier la pluie froide qui fouette la toile. La tête des chasseurs repose maintenant sur une toison d’or.
Dans les environs du lac Quiet, aux eaux paisibles, un chasseur de perdrix ou deux déambulent. Pas inquiets, pas pressés, tranquilles comme le grand lac.
À Dawson, panier en main, des amateurs de champignons hantent les sous-bois. Leurs bottes s’enfoncent dans la mousse épaisse alors qu’ils coupent prestement un pied de mouton imprudent ou un jeune bolet bien ferme.
Haines Junction ressemble déjà à une carte postale. Derrière les maisons, les potagers ont produit de beaux légumes ronds ou cylindriques, verts ou jaunes et gorgés de soleil. On les a consommés frais ou mis en conserve. Dans les jours de janvier, ils assouviront l’appétit familial. Le petit village semble attendre que le temps lui remette sa liberté après une saison touristique intense. Cette attente lui va bien.
Sur les flancs de montagnes connues ou dans des lieux secrets, des cueilleuses font provision de bonheur le dimanche après-midi. Elles renouent des liens d’amitié ancestraux et partent à la conquête des petits fruits. Les conversations vont bon train : la peur des ours, la vie en société, la santé, le travail, tout y passe. Bientôt les contenants sont pleins et les petites mouches noires ont raison de la ferveur et de l’entrain des belles dames. Elles rentrent chez elles le cœur vaillant et le dos douloureux. La prochaine étape sera plus intérieure : il faudra cuisiner et préparer la richesse de l’automne.
À Tagish, l’automne est surprenant… car l’eau ne descend pas vite. Mais personne ne s’en fait vraiment. Les plages et les berges réapparaîtront bientôt et la vie reprendra son cours comme elle l’a toujours fait.
Un peu partout, les ours se gavent et se pourlèchent les babines. Ils aiment avoir le ventre plein, qui peut les blâmer? Les grues et les cygnes ont repris leur migration, les rats musqués ou rats des champs ont préparé leur refuge ou leur terrier, l’automne est bel et bien arrivé.