En 2013, cette année dont les deux derniers chiffres sont maudits depuis la nuit des temps, le printemps a fait faux bond aux gens du Nord. Avril est venu mais n’a pu s’imposer… il est reparti, humilié et dépassé par les événements.
À la radio, les bulletins météorologiques sont demeurés les mêmes pendant des semaines : du froid et encore un peu de froid. À un point tel que des citoyens inquiets sont montés dans leur tour de glace pour voir si la jeune saison s’annonçait. Ils sont redescendus hébétés et ont formé un nouveau parti politique : À la recherche du (prin) temps perdu. Leur inquiétude était fort légitime et se fondait en grande partie sur la course des astres : dans moins de deux mois, les jours allaient commencer à raccourcir. Le solstice d’été se dressait maintenant comme une menace!
Dans les journaux locaux, des proclamations et d’immenses annonces invitaient les citoyens et les citoyennes à scruter leur âme. Le genre humain pouvait-il être responsable de cette situation? Des jeunes avaient-ils fait trop de grasses matinées et à leur insu, insulté l’astre du jour?
Toute une communauté cherchait le plus petit signe annonciateur de la saison nouvelle. Le printemps était-il prisonnier dans un cachot sombre à l’abri du bourgeonnement? Ou encore enchaîné dans une forteresse austère sous le regard indifférent de trois solides Vikings vêtus de peaux d’ours?
Cette inquisition apporta une lumière nouvelle sur le phénomène. Ce n’était pas la première fois que le printemps se faisait attendre. Dans la mémoire collective des Premières nations, une année sans été avait inscrit de douloureux souvenirs. Chez les Européens et les Canadiens, le même événement remarquable avait aussi laissé son empreinte. À la fin du XVIIIe siècle, le climat s’était dégradé dans tout l’hémisphère nord. Les hivers rudes et grossiers s’étaient étirés jusqu’à en devenir indécents. Les étés avaient été forcés de porter leurs plus courts atours et étaient devenus pluvieux sans raison aucune. Lorsque l’année1816 – aussi connue comme l’année où il n’y a pas eu d’été – était arrivée, le printemps a été remis aux calendes grecques. Tant et si bien qu’une forte tempête de neige avait immobilisé la ville de Québec au début du mois de juin!
Cette perspective historique mise de côté, il n’en reste pas moins que dans leur tanière, les ours ont commencé à s’agiter. Leur ventre qui gargouille ne peut se tromper, l’heure de sortir doit être venue! Mais les bourrasques contredisent leur instinct. Il faut dormir encore… puisqu’il n’y a rien à manger dehors. Qui dort dîne? Bientôt leur sommeil sera peuplé de baies et de tendres pousses : dans leurs rêves, les ursidés affamés se gaveront de bleuets et de framboises. Mais cette abondance n’est que phantasmes et sous peu ce sera la mauvaise humeur qui nourrira leur attente.
Bon printemps et gare aux ours!