En politique, le double standard vestimentaire est aussi tenace qu’une tache de café sur un tailleur blanc.
Alors que les hommes peuvent se fondre dans l’uniformité des costumes sombres, une femme n’a que rarement ce luxe. Le moindre faux pas vestimentaire peut être interprété comme un affront, une excentricité, voire un défi direct aux codes tacites du « boys club », ce réseau informel où les hommes et leurs visions dominent.
Tenues scrutées, idées éclipsées
Depuis son arrivée sur les devants de la scène politique en 2020, le style vestimentaire de Kamala Harris n’a cessé d’être commenté, notamment pour son affection pour les chaussures de marque Converse. Un détail qui a parfois pris une importance disproportionnée dans la couverture médiatique, occultant les véritables enjeux de ses campagnes.
Au Canada, les choses ne sont pas si différentes. Le Québec a eu son propre « scandale vestimentaire » avec la députée provinciale Catherine Dorion. En 2019, Dorion, connue pour son style décontracté et ses prises de position audacieuses, s’est présentée à l’Assemblée nationale en coton ouaté, ce qui a déclenché un tollé parmi certains collègues qui estimaient que sa tenue n’était pas à la hauteur des attentes pour une députée.
Comme si l’élégance vestimentaire était le critère ultime pour faire de la bonne politique.
Bien sûr, les hommes en politique ne sont pas totalement épargnés par les jugements vestimentaires. Mais la différence est que, chez eux, les faux pas sont moins risqués et moins commentés. Tant qu’ils portent un costume sombre et des chaussures cirées, ils passent sous le radar. En somme, la société leur pardonne plus facilement.
En politique, on s’attend à ce que les femmes soient sérieuses, mais pas trop. Élégantes, mais pas trop. Féminines, mais pas trop. Cette ligne totalement arbitraire à ne pas franchir est à la fois absurde et frustrante.
Des figures comme Chrystia Freeland, ministre des Finances et vice-première ministre du Canada, ont régulièrement dû jongler avec ces attentes, subissant parfois des critiques pour des tenues « trop simples » ou « trop féminines. »
Le débat autour des choix vestimentaires des femmes en politique n’est pas un simple affrontement de goûts, mais bien une manifestation profonde de la manière dont les femmes sont perçues dans les sphères de pouvoir.
Derrière les commentaires sur les tenues des femmes politiques se cache une vision patriarcale et profondément sexiste, qui lie l’apparence à la compétence et la crédibilité.
Un jeu aux règles invisibles
Le résultat de cette inégalité de traitement et de ces règles floues est que les femmes en politique doivent non seulement prouver leurs compétences, mais aussi gérer leur apparence avec une précision quasi chirurgicale. Si elles ne respectent pas les codes vestimentaires implicites, elles risquent de voir leur crédibilité remise en question.
Dans ce contexte, l’apparence vestimentaire devient un enjeu politique, un espace où se jouent des luttes de pouvoir qui ne concernent pas uniquement les idées, mais aussi la manière dont les femmes peuvent – ou ne peuvent pas – occuper l’espace public.
Le fait d’avoir deux poids, deux mesures en matière vestimentaire sert non seulement à limiter l’expression des femmes dans l’espace public, mais aussi à les renvoyer constamment à leur corporalité, les réduisant ainsi à des objets du regard.
Il est temps que nous arrêtions de juger les femmes politiques sur ce qu’elles portent et que nous nous concentrions enfin sur ce qui compte vraiment : leurs idées, leurs politiques et leur capacité à diriger.
Parce que, franchement, que Kamala Harris porte des Converse ou que Catherine Dorion préfère les cotons ouatés, ce n’est pas cela qui va résoudre les défis auxquels sont confrontées nos sociétés.
Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.