Cette fois-ci, je vais abuser. Je vais profiter de cette chronique pour rendre hommage à un membre de ma famille. Il s’agit de ma mère. C’est d’autant plus biaisé que ces jours-ci sortira un livre écrit par un comité pour décrire son parcours dans une des grandes causes que le Québec a connues. Il s’agit de l’expropriation de 97 000 acres de terres agricoles et leurs 7 villages pour construire le plus grand aéroport au monde – ou de l’univers, ça dépendait des jours (sarcasme) – soit l’aéroport Mirabel. C’est de là que je viens. C’est de là que j’ai appris tout le mépris qu’un gouvernement peut démontrer envers son peuple. C’est aussi là que j’ai appris que quand ce même peuple se réveille et s’unit, il est possible d’inverser la rotation implacable de la grande roue du système qui aplatit tout sur son passage. Et ma mère fut certainement une des grandes artisanes de cette inversion de rotation. Pour moi, dans l’histoire féminine de notre pays, elle a sa place aux côtés des Marie-Claire Kirkland-Casgrain, Jeanne Sauvé, Marguerite Bourgeoys, Jeanne Mance, Émilie Tremblay, la Bolduc et toutes les autres héroïnes que ce pays a créées.
On m’a demandé de participer à ce livre afin d’expliquer comment un enfant ou ado (ça a duré tellement longtemps) percevait ce conflit majeur. C’étaient les années 70. Nous étions bombardés de nouvelles idées. Et une de celles-là était la libération de la femme, comme on le disait à l’époque. Mais mon frère et moi savions déjà tout ça. Ma mère nous l’avait incrusté depuis notre plus bas âge; et souvent sur un ton qui ne portait pas à confusion.
Comme je lui ai un jour dit et il n’y a pas tant d’années de ça : « Depuis que mon frère et moi sommes petits gars tu nous expliques le respect qu’on doit avoir envers les femmes. Alors tu penses qu’on est tellement idiots pour comprendre que tu sens le besoin de me le répéter pendant cinquante ans? »
Ceci dit, et ça fait vraiment du bien de le dire, je veux aujourd’hui profiter de cette tribune pour honorer ma mère comme il se doit. Elle est âgée et n’est plus cette centrale électrique débordant d’énergie qu’elle avait toujours été. Avant qu’il soit trop tard, voici l’extrait de ce livre que j’ai choisi pour illustrer l’admiration pour mes parents.
Il y a un temps déjà, je pitonnais Internet à la recherche de différents enseignements décrivant les critères et normes établis pour élaborer l’architecture et la construction d’une histoire. Je suis tombé sur un témoignage de George Lucas, le créateur de Star Wars. Il racontait qu’il y avait deux personnes qui l’avaient beaucoup influencé au cours de ses études universitaires en cinéma. La première, comme par hasard, venait d’un obscur professeur de l’Université McGill de Montréal des années 60. J’ai malheureusement oublié son nom. Il s’agissait d’images, tournées dans les rues de Montréal, de gens ordinaires vaquant à leurs occupations ordinaires : un vieil homme nourrissant des pigeons, des gens déambulant sur la rue Sainte-Catherine, etc. Rien de plus. Une voix hors champ expliquait avoir tendance à voir une certaine connexion entre tous ces gens. Il décrivait ce lien comme une espèce d’énergie vibrante les reliant tous. Je dois avouer que je n’y avais pas compris grand-chose. Je n’arrivais pas à voir ce qui avait tant inspiré monsieur Lucas.
Et l’autre référence qu’il donnait était celle d’un autre professeur d’université américain qui avait compilé à peu près tous les contes et légendes issus d’à peu près tous les peuples de la terre et de toutes les époques. Il en était venu à la conclusion que peu importe d’où et de quand ces histoires proviennent, elles respectent toutes les mêmes thèmes. Toutes les histoires ne sont en fait qu’une seule et grande histoire.
La plupart du temps, le héros, ne nait pas héros. À la base, c’est une personne ordinaire que rien ne prédestine à une grande renommée. Ce n’est que lorsque les évènements, la plupart du temps personnifiés par un oppresseur, viennent à notre héros/héroïne que la mutation s’opèrera. Ne reculant pas devant le danger et l’adversité, sa vraie nature courageuse se révélera. Malgré les obstacles et les prévisions d’échec, le héros s’acharnera avec force, intelligence et astuce, parce qu’il/elle croit en la justice et la noblesse de la cause.
Le vrai héros ne cherche pas la gloire. Il ne l’obtient qu’après avoir combattu pour redonner aux siens la paix aux dépens de son profit personnel. Une fois sa mission est accomplie, il/elle retourne à ses terres afin de reprendre sa vie paisible près des siens. Pour ça que l’épilogue est souvent : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. »
Dans ces quelques lignes, je ne viens pas de décrire le parcours de Jack le tueur de géants, David contre Goliath, Luke Skywalker ou le roi Arthur, mais celui de ma mère.
Et je m’en voudrais ici d’omettre ce film de ce prof d’université qui avait inspiré monsieur Lucas à développer la théorie « Que la Force soit avec toi! ». Je crois que là aussi, on peut faire le parallèle avec ma mère. Elle a toujours clamé que c’est grâce à la force réunie de tous ses concitoyens que l’oppresseur a été vaincu. Même si on ne peut nier ce fait, on doit reconnaitre qu’elle en était non seulement l’antenne de réception mais aussi une de transmission. La Force était avec elle.
Je dois bien avouer que c’est en écrivant ces quelques lignes que je me suis rendu compte que son parcours correspond en tous points aux récits de ces grands personnages mythologiques décrits dans ce livre de Joseph Campbell. On pourrait y rajouter un chapitre. Et on devrait.
Je me dois aussi de mentionner l’héroïsme dont mon père a fait preuve en s’effaçant volontairement derrière ma mère afin de laisser toute la lumière resplendir sur elle pour la bonne marche de la cause. Il n’en a jamais pris ombrage. Ça m’a toujours estomaqué de le voir s’incliner avec tant d’humilité sans ne jamais laisser transpirer la moindre pointe de jalousie ou de frustration. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’avant l’expropriation, impliqué dans tout ce qu’il était, c’était sur lui que la lumière rayonnait. Pour opérer cette transition, non seulement il devenait l’ombre de ma mère, mais de plus, il dut accepter – et il le fit avec parfois quelque difficulté – que ma mère ne pourrait plus être complètement au service de la famille. Il dut même apprendre à cuisiner, ce qui était loin de faire partie de ses plans de vie. Mais il le fit. Et à la fin de cette bataille épique d’une quinzaine d’années, quand ma mère retourna au bercail, il recommença à resplendir avec plus de couleurs encore. Tout ce parcours lui avait appris à apprivoiser la sérénité. Il devint philosophe de la vie. Il me répéta maintes et maintes fois qu’il fallait apprendre à s’adapter aux chemins où la vie nous dirige, peu importe où elle nous mènera. Ça aussi, c’est dans le livre du héros aux mille visages. Servir de pilier indéfectible sur lequel ma mère a pu s’appuyer a, tant qu’à moi, fait de lui aussi un héros. Un héros qui savait dorénavant cuisiner.
Comme ces personnages provenant de temps immémoriaux, j’espère que ce livre contribuera à perpétuer la mémoire de ces héros afin d’inspirer les autres générations. Parce qu’aujourd’hui comme hier et plus que jamais, comme le dit l’expression : le monde a besoin de héros.