Ce commentaire a éveillé en moi non seulement un profond dégoût d’une mentalité archaïque, mais aussi un questionnement sur l’égalité des genres et les enjeux du travail invisible, de la charge mentale et de la santé mentale des mères qui y sont intrinsèquement reliés. Comme si les femmes, mamans et travailleuses, n’étaient toujours pas sorties de la cuisine en 2023.
Après deux heures de tâches ménagères à préparer des lunchs, faire la vaisselle, nettoyer les surfaces, faire du lavage et coucher les enfants, je me suis finalement assise à mon bureau en soupirant de fatigue pour continuer mon télétravail, tout en avalant mes 75 mg d’antidépresseurs. C’est à ce moment que j’ai intériorisé les paroles évoquées plus tôt par ce membre de la famille : avait-il raison? Visiblement, je n’y arrivais pas.
Les chaudrons et le gazon ont-ils un genre?
Goûtons un peu à la sauce amère des tâches ménagères, travail invisible que je connais si bien en tant que maman de deux petits bébés. Les chiffres sont en notre défaveur pour un épanouissement personnel. En effet, les mères consacrent quotidiennement jusqu’à une heure et douze minutes de plus que les hommes aux tâches ménagères au sein d’un couple avec enfant(s) de 0 à 17 ans. En une année, c’est l’équivalent de 11 semaines de travail à temps plein accomplies en tâches ménagères que les hommes n’ont pas à assumer. Notons que le pourcentage des mères canadiennes qui occupent un emploi en 2021 est de 76,5 %, soit environ trois mamans sur quatre. La plupart des mères sont donc débordées.
L’enjeu ici n’est pas qu’elles sont submergées parce qu’elles sont mamans et travaillent, mais plutôt parce qu’elles sont femmes avant tout. En effet, le fait qu’une femme soit mère ou non, travaille à temps plein, partiel ou pas du tout, ne fait aucune différence sur sa prédisposition à être encore l’exécutante principale des tâches ménagères comme activité au sein d’un couple. Soupirs. Ce serait donc une question de genre?
Intéressons-nous à la reproduction des stéréotypes de genre dans nos vies familiales et les types de tâches effectuées qui les perpétuent : les hommes ont tendance à faire des tâches plus épisodiques, discrétionnaires et dehors par défaut, comme sortir les poubelles, rénover la maison et réparer l’auto, tandis que les femmes font davantage de tâches routinières, répétitives et à l’intérieur, comme cuisiner, faire le lavage et le ménage. Elles sont aussi plus susceptibles d’accomplir plusieurs tâches ménagères simultanément et y consacrent davantage de temps que les hommes, et ce même si elles occupent un emploi. Les femmes combinent même leur temps de loisir aux tâches ménagères et au soin de leurs enfants! C’est le cas de 20 % d’entre elles contre 6 % des hommes. Du gros fun?
Stéréotypes sexistes et surcharge mentale : un mélange qui tourne au vinaigre
La charge mentale est un aspect considérable du surmenage des femmes et des mères et est très peu documentée. Néanmoins, le rapport sur l’Emploi du temps : la charge de travail totale, le travail non rémunéré et les loisirs de Statistique Canada effleure le sujet tout en citant des études qualitatives récentes, et confirme que les femmes ont conservé l’ultime responsabilité d’assurer la coordination de la vie des enfants, de s’assurer du bon fonctionnement du ménage, du « travail d’ordre affectif » et de l’« entretien des relations », et ce même si leur rôle économique s’est accru. Le Comité permanent de la condition féminine se positionne sur les stéréotypes de genre pénalisant les femmes : les stéréotypes sexistes et les rôles associés aux genres profondément ancrés dans la société confèrent par défaut aux femmes la responsabilité des tâches ménagères, du bénévolat et des soins rémunérés et non rémunérés. Si une femme sur deux (46 %) se sent constamment stressée de tenter de faire plus que ce qu’elle peut assumer, et que le même pourcentage de mères se disent épuisées à force d’essayer de concilier le travail et les responsabilités liées aux enfants, pas étonnant que les antidépresseurs figurent en tête de liste comme médicament le plus consommé par les femmes au Canada. Je fais partie des 1 514 000 femmes qui en prennent chaque jour. Il est donc légitime de faire un rapprochement entre les stéréotypes de genre qui prédisposent les femmes et les mères aux tâches ménagères et au soin de leurs proches, la charge mentale qui y est associée et la consommation élevée d’antidépresseurs parmi ce bassin de population au Canada.
Tous ces constats rappellent que la répartition des tâches ménagères est bien plus systémique qu’on pourrait le croire. Sachant cela, il est peut-être un peu ambitieux de souhaiter la reconnaissance et la visibilité du travail invisible des femmes comme résolution pour la nouvelle année. En attendant un changement de paradigme complet qui reconnaîtrait enfin que le bon fonctionnement de notre société repose en partie sur le travail domestique non rémunéré des femmes, je prendrai la résolution suivante : moins de ménage, plus de massages!
Emilie Major-Parent est responsable des communications pour l’organisme Les Essentielles.