L’enlisement de la guerre au Yémen
Je commence par le conflit au Yémen, car il détient le triste record du conflit le plus long encore en cours – huit ans –, du plus dévastateur du point de vue humain. Il est aussi doublement symbolique de par le nombre d’interférences étrangères, mais aussi de l’indifférence crasse que la communauté internationale, dans son ensemble, lui porte.
Si cette tragédie humaine qui a débuté en 2014 par un conflit interne entre le gouvernement yéménite et les rebelles houthis s’enlise, c’est parce que très rapidement deux puissances de la région ont décidé d’utiliser ce théâtre tragique pour mener une guerre par procuration.
D’un côté, le régime iranien des mollahs n’a pas hésité à fournir des armes aux rebelles houthis, qui appartiennent au courant islamique des chiites ; de l’autre côté, une coalition, menée par l’Arabie saoudite qui est de tradition islamique sunnite, s’est carrément impliquée militairement dans le Yémen, menant des campagnes de bombardements aériens mortifères.
Les Occidentaux, principaux fournisseurs d’armes des pays du Golfe, ne sont que trop contents de voir tourner leurs industries de la mort.
Il y a un mois, la trêve négociée par l’ONU en avril dernier a pris fin. Aucun accord n’y fait suite. De nouveau, des millions de Yéménites vont se retrouver victimes des conflits qui les dépassent. Et de nouveau, la famine, les maladies, le manque de médicaments, les bombes vont tuer femmes, enfants et personnes âgées dans l’indifférence généralisée.
Une sortie dans la guerre du Tigré?
Le gouvernement fédéral éthiopien et les indépendantistes tigréens ont conclu un accord pour mettre fin à deux ans de conflit armé où les crimes de guerre et crimes contre l’humanité ne se comptent plus dans le nord de l’Éthiopie.
Des pourparlers étaient en cours à Pretoria, en Afrique du Sud, depuis le 25 octobre.
Cela faisait longtemps qu’experts et observateurs plaidaient pour des voies de sortie endogènes, pour des tables de concertation locales ou régionales, sans intervention de puissances étrangères dont les intérêts primeront toujours sur les réalités et besoins des populations locales (les Américains n’ont cependant pas pu s’empêcher de mettre leur nez dans ce dossier).
La mauvaise nouvelle, c’est que cette reprise en main diplomatique faisait suite à une reprise des combats depuis le mois d’août, alors qu’une paix relative régnait dans la région depuis cinq mois.
L’armée fédérale éthiopienne avait profité de cette trêve printanière pour rassembler ses forces largement éprouvées par la rébellion tigréenne aguerrie au combat. L’allié contre nature d’Addis-Abeba, le régime totalitaire de l’Érythrée voisine, en a lui aussi profité pour enrôler de force ses pauvres Érythréens, esclaves à vie du régime.
Les détails inscrits dans l’entente n’ont pas encore été dévoilés. Et de toute façon, le problème n’est pas tant la fin des hostilités que la réalisation de la paix.
Plus d’un demi-million de morts en moins de deux ans, des millions de déplacés internes et dans les pays voisins. Cela laissera des blessures profondes qui compliquent le vivre-ensemble, sans compter que d’autres régions réclamant plus d’autonomie au gouvernement fédéral central se sont lancées dans le conflit.
Il s’agira donc non seulement de faire la paix, mais aussi de sauver un système fédéral largement contesté en Éthiopie.
Le conflit sans fin dans l’est de la République démocratique du Congo
Il y a des guerres qui ne disent pas leur nom.
Avec le Congo, il s’avère difficile de faire le décompte. Officiellement, ladite Deuxième guerre du Congo s’est achevée en 2003. Mais si cette grande guerre africaine qui a vu pas moins de neuf États africains se mêler de ce qui ne les regardait pas est effectivement terminée, le conflit perdure bel et bien au Kivu. Le caractère régional de ce conflit est lui aussi toujours bien présent étant donné l’implication des pays voisins du Rwanda et de l’Ouganda.
Il faudrait s’épancher sur des milliers de pages pour expliquer les tenants et les aboutissants de ce conflit sanguinaire, tous ces vases communicants, toutes les parties prenantes qui sèment la terreur, toutes les horreurs subies par les populations locales. Il s’agit d’un conflit hors norme, hors destin, hors humanité. Les mots manquent pour même commencer à le penser.
Le caractère extraordinaire de ce conflit est à l’image de la richesse des ressources qui se trouvent sur ce territoire. Car il est là le destin funeste de cette région : elle regorge de minerais en tous genres, ce qui attise la convoitise de tous.
Si l’on ajoute à cela l’incompétence chronique du gouvernement de Kinshasa, l’incurie de la mission onusienne qui fait plus de mal que de bien et, comble du comble, le délire identitaire, revanchard et pathologique du président rwandais Paul Kagamé, on obtient tous les ingrédients réunis de cette désolation sans nom.
Depuis bientôt un an maintenant, les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, ont repris les armes. Si rien n’est fait, comme c’est le cas depuis des mois, c’est une guerre ouverte interétatique qui risque bien de se déclarer de nouveau dans l’Afrique des Grands Lacs.
Ces derniers jours, les villes tombent, comme les pommes à l’automne, aux mains des tortionnaires du M23. Les prochains mois marqueront sans nul doute un tournant pour l’avenir du pays et de la région.
La guerre n’est pas terminée en Syrie
Le conflit syrien, qui a occupé la une de l’actualité internationale pendant des années, a complètement disparu des radars des journaux occidentaux. Et pourtant. Le chaos infernal qui s’est abattu sur le pays règne toujours.
Si Daesch a largement perdu de ses forces, ses combattants sont toujours présents. Les Turcs profitent du fait que les Russes sont occupés en Ukraine pour s’immiscer de façon encore plus concrète dans le conflit syrien.
Le sanguinaire dictateur syrien, Bachar El-Assad, règle tranquillement ses comptes, et son régime siphonne au passage l’aide internationale.
Une ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Cham, prend de l’ampleur et, ces dernières semaines, semble s’imposer comme un nouvel acteur majeur dans le conflit.
En attendant, le Canada rechigne, sous des prétextes fallacieux, contrairement aux autres pays occidentaux, à rapatrier ses citoyens placés en camps de détention en Syrie, courant ainsi le risque de les voir s’échapper dans la nature quand les groupes armés islamistes sunnites les auront libérés. En attendant, les exilés civils syriens sont rejetés de tous bords, dans un déni d’humanité dont nous devrions tous avoir honte.
Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des facultés de Sciences humaines et de Philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du partenariat Voies vers la prospérité.