« Quand je suis arrivé en 1992, j’ai cherché un club de football [soccer], mais je n’en ai pas trouvé. Alors je suis allé sur les terrains pour demander aux gens qui jouaient si je pouvais me joindre à eux. Il y avait des communautés étrangères qui se regroupaient pour pratiquer leur sport, et les francophones se sont retrouvés à chercher une équipe qui voudrait bien les accueillir. »
Arrivé de France, Jean-Pierre Boué s’est retrouvé à Toronto confronté à une difficulté que rencontrent beaucoup de familles francophones en milieu minoritaire : offrir l’opportunité à leurs enfants de pratiquer une activité sportive en français.
Céline Dumay, directrice générale de la Fédération du sport francophone de l’Alberta (FSFA), est bien consciente du problème. « Certaines personnes ne parlent pas anglais et le premier réflexe des parents, ça va être de chercher des équipes en français. C’est sûr que pour les enfants, au début, c’est difficile et ça peut faire peur de ne pas comprendre la langue. Après, souvent, ils s’adaptent et vont se mêler à la masse. »
Selon elle, le défi est surtout pour les parents qui souhaitent que leurs enfants participent à des activités parascolaires en français. « Ils ne veulent pas que le français soit juste dans le milieu scolaire, mais que les enfants aient l’opportunité de pratiquer dans d’autres domaines », précise-t-elle.
« On parle en français à la maison et quand on cherche des leçons de natation, on cherche d’abord à leur en offrir en français parce que ma fille de 4 ans, surtout au début, ne parlait et ne comprenait que le français, donc on ne pouvait pas la mettre dans un cours en anglais », indique Chantal Young, installée au Manitoba.
Cette mère de famille connaît d’autant mieux le sujet qu’elle occupe, depuis janvier 2020, le poste de directrice générale de Sports en français, un organisme franco-manitobain qui dispose d’un double mandat : « le sport et unir la francophonie manitobaine ». « On veut voir les francophones se rassembler autour du sport », indique Chantal Young.
Sortir le français de l’école
« Nous, on veut pratiquer le français », assure Jean-Pierre Boué, qui a créé le club de soccer Franco Foot en 2007, à ce jour la seule section de l’Association sportive des francophones du Grand Toronto.
« Dans un pays comme le nôtre, la deuxième mission, en dehors de la mission sportive, c’est quand même de développer la langue française pour les francophones, poursuit-il. Une langue qui a des hauts et des bas. L’idée ce n’est pas de s’opposer aux anglophones; c’est de permettre à tout le monde de parler français. »
Céline Dumay note par ailleurs que le contact avec la langue française dans la pratique sportive intéresse aussi des jeunes issus de foyers anglophones. « Des jeunes anglophones qui sont dans les écoles d’immersion et qui suivent des cours en français vont vouloir participer à des activités pour avoir des occasions de pratiquer leur français », relate Céline Dumay.
La tenue d’évènements en français ou à composante francophone devient une bonne occasion de promouvoir la pratique du sport dans la langue de Molière. Chantal Young a pu l’observer au Bonspiel de la francophonie manitobaine, le plus grand tournoi de curling annuel en français de la province, qui existe depuis 1972.
« L’année dernière, il y avait une équipe nouvellement arrivée de la France avec deux jeunes enfants qui avaient autour de 12 ans, témoigne-t-elle. Les parents se sont lancés là-dedans avec leurs enfants et ils ont découvert un sport qu’ils ont beaucoup aimé. »
L’entraide entre les clubs sportifs est aussi importante pour faire la promotion de diverses activités. « On est chanceux en Alberta parce qu’on collabore et qu’on peut promouvoir les services entre nous », se réjouit Julianna Damer, directrice générale de l’Association la Girandole d’Edmonton, qui propose des cours de danse à une cinquantaine d’enfants cette année. « C’est quelque chose d’important. Le plus de gens qui en parlent, le mieux c’est. »
Le plafond de verre du haut niveau
Cependant, un manque de communication entre les structures sportives peut constituer un frein important à la pratique, explique Céline Dumay.
« On essaie de travailler avec le gouvernement de l’Alberta pour que tous les coachs soient répertoriés au niveau de la langue. Ça nous permettrait d’avoir une idée de combien d’entraîneurs sont bilingues en Alberta. Pour le moment, ils sont enregistrés avec leur spécification, leur discipline, mais souvent on ne sait pas quelle langue ils parlent. Ils peuvent très bien être francophones sans qu’on le sache, et auraient la possibilité d’offrir leur cours en français. »
L’avancement à un niveau supérieur dans la pratique d’un sport peut cependant être limité en français, se désole Céline Dumay. « Si c’est au niveau communautaire, on a des options, mais dès qu’on va à un niveau plus élite, souvent ces jeunes-là se retrouvent à aller en anglais. Ils n’auront pas de possibilités en français. »
Jean-Pierre Boué a été témoin de cette fuite de talents juste avant la pandémie, alors que son équipe de jeunes obtenait de bons résultats. « On s’est dit qu’on allait prendre des jeunes qui vont devenir une équipe fanion [l’équipe principale du club, composée essentiellement d’adultes, NDLR], mais pas du tout. Ils sont partis à l’université, quelques fois en dehors du Canada. Ça n’a pas marché comme on le croyait. »
Il a donc décidé de relancer une équipe fanion avec l’espoir de pouvoir, un jour, reconstituer une équipe de jeunes francophones. « Ça viendra quand les parents auront l’habitude d’aller voir l’équipe fanion jouer et gagner. Ils viendront avec leurs enfants et ça donnera envie aux enfants de jouer », considère le Franco-Ontarien.