Proches et amis étaient présents, mais aussi des membres de la communauté Gwitchin et anglicane — le symbole d’un homme qui avait su rassembler, et dont la vie a toujours été tournée vers les autres.
Vie au Canada
Né en France en 1917, le père Mouchet entre dans les ordres alors que la Seconde Guerre mondiale éclate. Comme de nombreux pères oblats, il entre dans la résistance. Après la guerre, il s’installe au Canada, à Telegraph Creek en Colombie-Britannique. En 1955, il déménage à Old Crow où il a vécu jusqu’en 1982. Passionné de ski, il a créé le programme territorial expérimental d’entraînement en ski (TEST) à Old Crow, puis à Inuvik et Whitehorse. Ce programme visait à promouvoir l’exercice physique et le ski de compétition. Grâce à cela, de jeunes skieurs d’Old Crow et d’Inuvik ont pu se qualifier pour faire partie de l’équipe canadienne de ski de fond, deux d’entre eux ont même été jusqu’à participer aux Jeux olympiques d’hiver de Sapporo et d’Innsbruck. En 1993, il devint officier de l’Ordre du Canada, la reconnaissance d’un demi-siècle de travail acharné au service des communautés du nord du Yukon. Un prix a été créé en son nom pour récompenser les personnes qui ont consacré leur temps de façon exceptionnelle à la pratique du ski de fond.
Sport et spiritualité
Pour le père Mouchet, sport et spiritualité étaient indissociables.
« Lui semblait dire, “si tu ne prends pas soin de la vie en dedans de toi, la vie spirituelle, cela ne reste que de beaux discours” », explique l’abbé Claude Gosselin qui a fréquenté le père pendant près de 12 ans à Whitehorse.
« Il avait développé cette intuition que les Premières nations avaient une capacité de survivance incroyable, unique », dit-il. « Si vous ne prenez pas soin de ça, vous allez mourir », leur avait dit le prêtre.
Jusque dans les dernières années de sa vie, Jean-Marie Mouchet continuait de skier. Claude Gosselin se souvient encore de la première fois qu’il a rencontré le père Mouchet. Sa liberté, son indépendance, et sa foi impressionnent l’abbé. « Fais-tu du sport? » a-t-il demandé à Claude Gosselin lors de son arrivée à Whitehorse. « Faut que tu fasses du sport. »
Rudy Sudrich, ancien entraîneur de l’équipe canadienne de ski, se souvient du père Mouchet avec qui il travaillait dans le programme TEST. Il se souvient du père avec ses jeans bleus usés, et ses bottes. Une messe à célébrer? Le prêtre enfilait alors son habit blanc. C’était un prêtre comme jamais on en avait vu. En 1994, plusieurs athlètes que Rudy Sudrich entraînait se sont qualifiés pour les Jeux olympiques de Lillehammer en Norvège. Il leur avait promis de venir avec eux, mais il ne peut laisser sa femme et sa fille, encore très jeune, seules.
« Il est venu ici en Colombie-Britannique (ndlr où Rudy vivait à ce moment-là) pour s’occuper de ma fille. Il a fait la lessive et a cuisiné pour elles », explique Rudy. « Ça vous montre vraiment quel genre de personne c’était », dit-il.
La fille de Rudy Sudrich, Pavlina, est aujourd’hui l’entraîneuse en chef de l’équipe de ski ontarienne. Peu après sa mort, elle a posté un article sur son blogue, partageant ce qu’elle avait appris du programme TEST et du père Mouchet. « Ce que j’ai appris de ces expériences, c’est le sens profond du labeur : c’est grâce à cela que nous trouvons la confiance en soi nécessaire pour réussir. Le père comprenait combien la confiance en soi était importante. Le manque de confiance en soi, disait-il souvent, est le plus grand ennemi des athlètes. »
Une approche différente
À Old Crow, le père Mouchet n’était pas là pour « convertir » la population locale.
« Il n’a jamais voulu fonder une église catholique, il était sûr que ça allait diviser la communauté », explique Claude Gosselin. La communauté était à ce moment-là à majorité anglicane. Pendant 25 ans, il décide donc de prier aux côtés des prêtres anglicans, refusant même de convertir certains anglicans au catholicisme.
Mais même s’il n’a pas construit d’église au sens physique du terme, Jean-Marie Mouchet a réussi mieux que beaucoup de ses pairs, explique Claude Gosselin. « Il a bâti l’Église mieux que n’importe qui : il a mis des gens debout », dit-il. « Ça prend une conviction énorme de se dire “je vais m’intégrer dans leur culture, dans leur spiritualité, mais je vais rester fidèle à ce que je suis.” »
C’était un homme qui était aussi très critique du pouvoir de l’Église, selon Claude Gosselin. « C’est un homme qui était capable de se nourrir intellectuellement aussi : il était abonné à toutes les revues philosophiques françaises. »
De nature humble, il ne parlait que très peu de lui-même. « Ce n’était pas un homme qui aimait raconter ses histoires, il était très discret dans ses approches », dit l’abbé, prenant l’exemple du programme de ski TEST. « Il ne s’appropriait pas son œuvre », dit-il. Sa vie, il l’a passé « tourné vers les autres ».
Prendre la relève
« On est tous responsables de l’héritage qu’il nous a transmis », explique Claude Gosselin. « (les gens) sentent qu’il va continuer à vivre à travers eux ».
Le père Mouchet était le dernier des pères oblats au Yukon. Les derniers ont déménagé durant l’été 2013 à Edmonton, après 115 ans de présence continue.
Son expérience à Old Crow et ses observations, le père Mouchet les a partagées dans son livre « Men and Women of the Tundra », paru en 2002.
Nos pensées sont avec sa famille, ses amis, et tous ceux pour qui il a fait une différence.
Paroles de ses proches et amis lors des funérailles
« S’il faisait soleil le dimanche, le père arrivait chez nous en disant “Oubliez la messe, nous avons besoin d’aller skier” » — Suat Tuzlak
« Tes mots étaient une source d’inspiration pour croire en moi et suivre mes intuitions. Je sais que je peux encore compter sur toi, où que tu sois ». — Anne Mouchet
« Sa mission était de rendre aux êtres humains leur dignité, plutôt que de les convertir. » — Marie Jo Mouchet