Le Canada s’est bâti comme un pays européen, une nouvelle France (et un Québec dont le Code civil est inspiré de celui de la France), puis il a adopté un système reposant sur les mêmes principes que le Royaume-Uni.
Les impératifs de la colonisation et du développement économique capitaliste ont été renforcés par les attitudes que disséminaient les organisations religieuses qui ont participé à la construction du pays.
Le résultat de cette fondation économique et idéologique du pays est l’exclusion de plusieurs formes de vies non seulement de l’espace public, mais aussi de l’espace privé.
Il n’a jamais été suffisant pour les groupes dominants que les membres des communautés 2ELGBTQIA+ gardent leur sexualité dans la chambre à coucher ou que les Premiers Peuples demeurent isolés dans des réserves.
Une répression souvent violente trouvait les membres de ces groupes et nations pour les punir et empêcher qu’ils aient des pratiques jugées contraires à celles du reste de la population – et surtout pour qu’ils se conforment aux normes et à l’ordre que l’on cherchait à imposer.
Cette visée de faire disparaitre les personnes 2ELGBTQIA+ et les Premiers Peuples n’a malheureusement pas été abandonnée par toutes les parties de la population.
Des changements qui tardent à se faire sentir
Ce n’est que très récemment que l’interdiction constitutionnelle de discriminer sur la base de l’orientation sexuelle a été reconnue par la Cour suprême (2006) et qu’une loi protégeant la diversité de genre a été adoptée (2017).
On voit également un désir d’inclusion plus grand au sein de plusieurs organismes, comme au sein de l’Assemblée communautaire fransaskoise.
Toutefois, les avancées ne sont pas acquises pour de bon. Un mouvement homophobe et transphobe plus large a notamment mené des conseils scolaires en Ontario et en Saskatchewan à signaler leur opposition à la reconnaissance des personnes 2ELGBTQIA+.
Et il ne faut pas oublier que l’interdiction de la participation de policiers et policières en uniforme par les comités d’organisation des défilés de la Fierté à Toronto et à Vancouver ces dernières années répond à une histoire de violence et de persécutions policières.
Et la question du racisme autochtone
La Loi sur les Indiens régit la vie seulement des personnes autochtones et demeure toujours en vigueur aujourd’hui, malgré quelques modifications qui ne font que l’adoucir sans éliminer la discrimination envers les femmes qu’elle renferme.
Par ailleurs, les droits que la Constitution devait définir par le biais d’une conférence constitutionnelle – donc une négociation qui reconnaitrait la souveraineté autochtone – n’ont fait l’objet d’une véritable discussion qu’à la Cour Suprême.
Le racisme et la discrimination envers les personnes autochtones demeurent par ailleurs bien ancrés dans la société canadienne. Le sociologue Brieg Capitaine a pu montrer comment ce racisme, tout en se manifestant de plusieurs manières, est lié aux enjeux politiques et économiques.
Le racisme n’est pas seulement une question de préjugés; il permet aussi à la majorité de continuer à exercer un contrôle sur les groupes minorisés et, ici, à empêcher le partage des ressources et la détermination par les Premiers Peuples de leur propre destinée.
Des enjeux démocratiques en commun
Il demeure aujourd’hui difficile pour les personnes 2ELGBTQIA+ et pour les personnes autochtones de participer à la vie politique commune. Peu de personnes appartenant à ces groupes siègent au Parlement. Pourtant, leur présence permet de porter certains des problèmes qui touchent leurs communautés à l’attention du gouvernement.
Il en va de même pour les Autochtones. Les premières femmes autochtones à siéger au Parlement d’une province ont été élues seulement en 2022 au Québec et le mois dernier en Alberta.
Même après avoir remporté une élection, il est difficile pour une personne autochtone d’être en politique. L’ancienne députée fédérale du Nunavut, Mumilaaq Qaqqaq, a expliqué qu’elle avait quitté la vie politique à cause du profilage, du racisme et de la discrimination dont elle a été victime pendant tout son mandat.
Et tandis qu’elle a pu amener une autre perspective au Parlement, la possibilité d’y apporter des changements demeurait limitée.
Ainsi, l’élection de membres des communautés 2ELGBTQIA+ et des nations autochtones ne signifie pas que les intérêts de ces groupes seront représentés. Il faut encore que ces personnes puissent porter la voix de leur communauté ou nation et puissent en mettre les intérêts devant certaines questions chères à leur parti, que leur parti soit enclin à les écouter, et que les plateformes incluent des politiques favorisant l’égalité.
Autodétermination et fierté
Plusieurs des enjeux propres aux communautés de la diversité sexuelle et de genre diffèrent de ceux au centre des préoccupations des Premiers Peuples. Mais de part et d’autre, au cœur des revendications se trouvent le désir et le droit à l’autodétermination et à la fierté.
La Fédération des nations autochtones souveraines a récemment affirmé que la fierté d’être soi-même et d’appartenir à une communauté est un enjeu commun aux deux groupes et que ce sentiment est nécessaire à la contribution de chaque personne à ses communautés d’appartenance.
La fierté n’est pas, ou pas seulement, une question d’identité. En termes politiques, elle est plutôt liée au sentiment d’être respecté·e tant par ses droits que par le traitement réservé par autrui.
Elle se ressent aussi par le sentiment de compter pour l’autre, qui passe par le droit et la possibilité pour une personne non seulement d’apparaitre dans l’espace public et d’être entendue et prise en compte, mais aussi de pouvoir y demeurer en vie, comme l’a montré le mouvement Black Lives Matter.
La question de l’autodétermination se pose alors de manière individuelle et collective.
Au niveau individuel, il s’agit de pouvoir prendre ses propres décisions et de participer pleinement aux décisions collectives.
Et au niveau collectif, à plus forte raison pour les Premiers Peuples, ce pouvoir de décision renvoie à la capacité de vivre selon ses propres lois et structures politiques – ensemble, avec ceux et celles qui désirent vivre comme soi, et sans ceux et celles qui empêchent cette forme de vie.
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (Metispresses, 2018).