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le Jeudi 9 novembre 2017 12:12 Société

La question du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer

Sabrina Jouniaux-Romano était de passage au Yukon pour lever le voile sur les défis du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer auxquels font face les bénévoles en milieu minoritaire. Photo : Marie-Hélène Comeau
Sabrina Jouniaux-Romano était de passage au Yukon pour lever le voile sur les défis du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer auxquels font face les bénévoles en milieu minoritaire. Photo : Marie-Hélène Comeau

C’est connu, la maladie d’Alzheimer qui s’attaque aux cellules du cerveau est irréversible. Elle entraîne dans son sillage des troubles au niveau de la mémoire et du langage. Dans ce contexte et lorsqu’on vit en milieu minoritaire, il est légitime de s’interroger sur les conséquences de la maladie dans la rétention d’une deuxième langue.

Une étude menée par Ellen Bialystok, une professeure de psychologie de l’Université York de Toronto, a démontré que les sujets bilingues ou plurilingues semblent manifester plus tardivement des symptômes de la maladie que les personnes unilingues. Ainsi, en étudiant 450 sujets atteints, elle a pu constater une apparition plus tardive des premiers symptômes de la maladie chez les gens bilingues, comparativement à ceux qui sont unilingues. Un retard important variant de quatre à cinq ans.

Sabrina Jouniaux-Romano était de passage au Yukon pour lever le voile sur les défis du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer auxquels font face les bénévoles en milieu minoritaire. Photo : Marie-Hélène Comeau

Sabrina Jouniaux-Romano était de passage au Yukon pour lever le voile sur les défis du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer auxquels font face les bénévoles en milieu minoritaire. Photo : Marie-Hélène Comeau

Toutefois, une fois les symptômes apparus, le bilinguisme cesse de constituer un avantage pour les patients chez qui on observe alors des phénomènes de mélange des langues. Ainsi, dès les premiers stades de la maladie, ils manifestent de la difficulté à sélectionner la langue appropriée à la situation de communication, en raison d’un déficit des fonctions exécutives.

Dans un contexte canadien de dualité linguistique, la recherche scientifique s’est concentrée historiquement sur les effets du bilinguisme axés en petite enfance. Toutefois, avec une population vieillissante, les préoccupations liées aux pertes linguistiques dans ce même contexte bilingue s’imposent de plus en plus au pays. En effet, quelle approche adopter pour offrir le soutien adéquat aux patients francophones qui souffrent de la maladie d’Alzheimer lorsque ces derniers vivent en milieu minoritaire, comme c’est le cas au Yukon?

Le bilinguisme au Yukon

Les origines pluriculturelles d’une bonne partie de la population francophone du Yukon viennent complexifier la situation. Il est impossible dans ce contexte de tenir pour acquis que tous les patients francophones ont appris l’anglais au même âge ou dans le même contexte. Au-delà de la langue, les expressions culturelles du lieu d’origine ou l’accent régional diffèrent également d’une personne à l’autre selon son âge et sa culture francophone d’origine.

« Il est important de savoir à quel moment la personne est devenue bilingue ou a appris une seconde langue. Car l’apprentissage d’une deuxième langue ne s’intègre pas de la même façon selon l’âge de son apprentissage », expliquait Sabrina Jouniaux- Romano, agente de projet en santé mentale et dépendances au Réseau santé Nouvelle-Écosse, qui a été récemment invitée au Yukon par le Partenariat communauté en santé (PCS). « Chez les patients qui ont appris les deux langues dès la naissance, ils peuvent parler en anglais ou en français sans se rendre compte qu’ils passent d’une langue à l’autre. Ils sont convaincus de n’avoir utilisé qu’une seule langue. Ça peut être déstabilisant pour les bénévoles ou le personnel qui offrent des soins ou du soutien à cette personne », a-t-elle souligné aux Franco-Yukonnais qui ont assisté en octobre à sa présentation publique sur les enjeux du bilinguisme dans la maladie d’Alzheimer et la démence en milieu minoritaire.

À chacun son histoire

Sabrina Jouniaux-Romano a rappelé que la perte de la langue peut devenir une cause de stress importante chez la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer qui n’arrive plus alors à comprendre ce qui se passe autour d’elle.

« Si la personne n’arrive pas à discuter ou à interagir avec les gens autour d’elle, ça la plonge dans un grand isolement. La question de la langue devient alors un élément crucial dans le développement de la maladie », a-t-elle souligné.

En plus de la diversité culturelle des lieux d’origine, la population franco-yukonnaise vieillissante est composée d’une clientèle francophone aux multiples histoires. Il y a ceux qui habitent le territoire depuis plusieurs années ainsi que ceux arrivés à un âge plus avancé et ayant pris la décision de quitter leur lieu d’origine pour se rapprocher de leurs enfants résidant au Yukon.

Pour l’instant, au territoire comme partout ailleurs au pays, on ignore comment faire face à ce nouveau défi linguistique lié à cette maladie. La solution repose actuellement sur la société, les bénévoles et les aidants naturels. D’où l’importance pour eux de bien comprendre l’enjeu de la langue dans un tel contexte.

« Le soutien culturel et linguistique en milieu francophone minoritaire est important. Toutefois, il arrive que les bénévoles francophones ne soient pas jumelés aux patients francophones. Une institution qui est trop grosse n’arrive pas à déterminer qui sont ses patients francophones, l’empêchant ainsi de les jumeler selon la langue. C’est dommage, car les patients répondent différemment dans le contexte de leur langue maternelle », affirme Sabrina Journiaux- Romano qui déplore par ailleurs le manque de recherche sur l’impact que la maladie peut avoir sur les personnes vivant dans un contexte linguistique minoritaire. « Nous devons faire de notre mieux avec le peu de renseignements que nous avons en axant nos interventions sur l’offre active en abordant les gens en français. Porter une épinglette indiquant le mot « Bonjour » est un pas dans la bonne direction, ça engage le dialogue », assure-t-elle.