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le Jeudi 2 avril 2015 8:00 Société

Luang Prabang : comme un tissu soyeux sur mes épaules

Un coucher de soleil sur Luang Prabang. Photo : Sylvie Binette.
Un coucher de soleil sur Luang Prabang. Photo : Sylvie Binette.

J’atterris à Luang Prabang au Laos, après un séjour en Inde où chaque instant est rempli de monde, de bruits et de choses à voir. Dès que je mets les pieds en sol laotien, j’ai l’impression qu’on vient de déposer sur mes épaules un grand tissu soyeux.

Un coucher de soleil sur Luang Prabang. Photo : Sylvie Binette.

Un coucher de soleil sur Luang Prabang. Photo : Sylvie Binette.

Cette ville située au creux d’une vallée étroite où surplombent des montagnes de verdure est bien ancrée à la croisée du fameux fleuve Mékong et de la rivière Nam Khan.

Seul le nom de Luang Prabang est porteur de sens, évoquant une grandeur tout à la fois mystique et royale. Ses nombreux temples bouddhistes encore occupés par les moines, ainsi que la procession quotidienne des moines novices pour recueillir les offrandes dans les rues de Luang Prabang en font un lieu envoûtant.

Des moines novices qui reçoivent des offrandes. Photo : Sylvie Binette.

Des moines novices qui reçoivent des offrandes. Photo : Sylvie Binette.

L’histoire de son passé reste vague, et ce, jusqu’à l’an 1353 où FaNgum, guerrier laotien légendaire, descendit avec une armée de soldats khmers sur Xieng Dong Xieng Thong (le nom pour Luang Prabang à l’époque) et capture cette dernière. FaNgum réclame alors le titre de roi à son grand-père et y fonde le royaume de Lane Xan Ham Khao — le royaume des milliers d’éléphants et des parasols blancs. À la suite de la fondation de ce royaume, le Laos verra des lignées de rois diriger le pays, et ce, pour six siècles durant. Et ce sera durant le règne de FaNgum que l’on verra arriver les moines, les artistes, un code juridique et la forme bouddhiste theravada.

Mais d’où vient donc cette influence coloniale française qui se distingue un peu partout dans l’architecture et les enseignes à travers Luang Prabang? On peut donc remonter à l’arrivée de deux explorateurs, Francis Garnier et Doudart de Lagrée qui, en 1867, furent impressionnés par le marché et la ville portuaire de Luang Prabang étant à l’époque une ville indépendante sous le règne de Kingkitsalat, premier roi de cette ville indépendante. Ces deux explorateurs découvrent alors un centre commercial important le long d’une route, le Mékong qui reliait Luang Prabang à de nombreuses régions de l’Indochine, déjà sous la possession des Français. Les Français avaient, par le passé, déjà aviser le roi Oun Khan qu’un ralliement avec la France les protégerait de l’empire Siam qui avançait de plus en plus sur le territoire.

Vingt ans plus tard, les Siams et quelques maraudeurs Han passèrent à l’action. Ils brûlèrent et ravagèrent la ville de Luang Prabang. Auguste Pavie, explorateur et vice-consulat pour la France alors situé à Luang Prabang, était à la recherche d’alliés politiques et de routes de commerce à travers le Laos. Il profita de l’occasion pour sauver le vieux roi de sa demeure en feu et le conduisit plus loin sur le fleuve Mékong. Le roi lui fût reconnaissant et céda Luang Prabang à la France. En 1893, la France négocia avec Siam que tout le territoire à l’est du Mékong lui appartiendrait et deviendrait un protectorat français. À la suite de négociations entre la France et l’Angleterre, il en résulta que la Birmanie (Myanmar) appartiendrait à l’Angleterre et le Laos français à la France.

Vincent Loiseau, conteur et poète slam français, donne un atelier dans le cadre de la Caravane des dix mots à des étudiants laotiens de l'Institut français. Photo : Sylvie Binette.

Vincent Loiseau, conteur et poète slam français, donne un atelier dans le cadre de la Caravane des dix mots à des étudiants laotiens de l’Institut français. Photo : Sylvie Binette.

En 1887, Luang Prabang fût donc reconstruite par les Français avec l’aide de travailleurs vietnamiens francophones. La ville prit vite l’allure des constructions de l’Indochine française; un style qui fut aussi approprié par la royauté laotienne. On raconte qu’il y aurait eu plus de 10 000 habitants francophones et plus de 1 000 maisons construites par année durant cette période de reconstruction.

Le règne du protectorat français au Laos durera près de 50 ans. On dit que les Français perdirent peu à peu l’intérêt vis-à-vis le Laos et son commerce à part que pour celui du bois (teck), de l’opium et du café qu’ils avaient introduit.

Contrairement aux autres colonies françaises de l’Indochine, le Laos ne vit ni écoles, ni hôpitaux se construire et un bien maigre système routier. C’est dans un Laos divisé, contrôlé d’un côté par les Pathet Lao et de l’autre par le RLG (Royal Lao Government) que les Français renoncent en 1954 au Laos, sous le commandant en chef du Laos de l’Indochine général Henri Navarre. Les Français se retirent, laissant le contrôle au RLG et au parti communiste croissant des Pathet Lao. La présence française s’estompa et nourrit l’inquiétude chez les Américains qui avaient signé des ententes depuis 1950 avec le RLG.

Et le reste, ce fût la crainte d’une montée du communisme au Laos par Dwight Eisenhower, président des États-Unis, et le poussa à négocier des ententes avec le RLG afin d’entraîner l’armée du Laos pour contrer la montée du communisme et des Pathet Lao. Le reste devient encore plus compliqué, car la région de l’est du Laos se trouve entièrement bombardée par les Américains, à l’insu du peuple américain, pendant la guerre du Vietnam de 1962 à 1973, même si le pays n’était pas en guerre. La piste Ho Chi Ming qui reliait le Vietnam au Cambodge par le Laos reçut plus de 3 millions de tonnes de bombes durant cette période, et seulement 30 % ont explosé. Le reste est encore dans le sol laotien à hanter les Laotiens partout où ils marchent, travaillent, pêchent ou jouent. Sans compter l’agent orange, un produit défoliateur qui fut déversé sur les forêts laotiennes, qui eut des conséquences négatives pour les sols du côté agriculture. Les Laotiens anciens ont mémoire de ces événements, mais ne semblent pas en vouloir au peuple américain, mais plutôt au gouvernement américain de l’époque.

Luang Prabang, de son côté, fut épargnée des deux guerres de l’Indochine, contrairement à de nombreuses villes à l’est et au nord de cette dernière. Par contre, les rituels et cérémonies bouddhistes furent arrêtés lorsque les révolutionnaires du Laos — les Pathet Lao — abdiquèrent le roi en 1975 en le forçant à se retirer dans une grotte du nord-est, où lui, sa femme et un de ses fils n’en sont jamais ressortis.

En 1995, Luang Prabang se voit attribuer le statut de site du patrimoine mondial de l’UNESCO pour son mélange d’architecture laotienne et coloniale. La présence de patrimoine immatériel comme la collecte des offrandes par les moines bouddhistes chaque matin et les pratiques reliées au bouddhisme font certainement le charme de cette ville et dénotent l’esprit de ce lieu.

Quand je me promène au Laos, je réalise que les anciens parlent encore français et que les jeunes, eux, préfèrent la langue de Shakespeare. L’Institut français détient des locaux où on y enseigne le français et organise quelques activités culturelles. Plusieurs jeunes Laotiens voient l’importance de parler français au Laos, surtout en considérant le nombre de touristes francophones qui y vient.

À Luang Prabang, je mange des croissants au restaurant français le Banneton, je bois de la bonne bière belge au pub-resto The House, je lis des livres français à la librairie-café l’Étranger, mais surtout, je ressens cette atmosphère d’une ville aux allures coloniales françaises. Luang Prabang a indéniablement charmé mon cœur.