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le Lundi 9 février 2015 10:05 Société

Comment faire un budget sans huile?

L’analyste du discours de l’énergie, Dominique Perron, de Nelson (CB).
(Jessica Ryan/Camrose Canadian)
L’analyste du discours de l’énergie, Dominique Perron, de Nelson (CB). (Jessica Ryan/Camrose Canadian)

Jean-Pierre Dubé (Francopresse)

Le prix du baril de brut est tombé à 39 $ en 2008 et voilà qui s’approche à nouveau de cet abîme. Mais les gouvernements refusent d’y voir une crise structurelle, soutient Dominique Perron, ils attendent que le prix remonte.

L’analyste du discours de l’énergie, Dominique Perron, de Nelson (CB).  (Jessica Ryan/Camrose Canadian)

L’analyste du discours de l’énergie, Dominique Perron, de Nelson (CB).
(Jessica Ryan/Camrose Canadian)

« Oui, il va remonter, note la professeure retraitée de l’Université de Calgary. On ne sait pas quand et seulement jusqu’à la prochaine crise. Prier pour le pétrole, c’est comme prier Saint-Joseph. On est dépendant de quelque chose sur laquelle on n’a aucun contrôle. Le Canada ne fait que subir les prix, il ne décide rien.

« On n’a pas vraiment d’influence parmi les pays producteurs, note Dominique Perron. Et il est possible qu’avec les changements climatiques, les marchés veulent de moins en moins de notre pétrole à cause de l’image négative des sables bitumineux sur le plan international.

« C’est facile, le pétrole, dit-elle. On a juste à se pencher et à le ramasser. Ça n’a rien d’inventif. Collecter les redevances a toujours été une solution de facilité pour les économies albertaine et canadienne. On ne réfléchit pas aux alternatives.

« Le déficit est conceptuel, soutient la chercheuse indépendante. Nos dirigeants n’ont pas la capacité intellectuelle pour comprendre la situation. Ils ne veulent pas voir la réalité parce que ça les obligerait à penser de manière radicalement différente. Il y a de petits pays qui n’ont pas nos ressources naturelles et qui réussissent à se développer. »

Alors que le prix du baril est presque deux fois plus bas que le coût d’exploitation, Dominique Perron constate le discours d’impuissance des politiciens. « Ils ne veulent pas admettre qu’ils ont perdu contrôle. Mais tout a changé. Il faudrait élaborer un budget provincial et fédéral sans tenir compte du pétrole. »

L’auteure de L’Alberta Autophage : identités, mythes et discours du pétrole dans l’Ouest canadien (University of Calgary Press, 2013) met les élus au défi : « Ont-ils la capacité intellectuelle de construire un tel budget ? L’inconcevable, on est bien obligé de le concevoir !

« Ce qui peut être bon, mais qui n’arrivera pas tout de suite, c’est que de plus en plus de Canadiens vont se forcer à regarder d’autres solutions et faire des propositions fiscales alternatives. »

Dominique Perron prévoit à un retour vers l’Est d’une partie des populations déplacées pour le boom pétrolier. « Il y aura une migration là où se trouvent des emplois. Je suis très inquiète des gens qui perdent leur poste. On se dirige vers une situation économique très difficile ». L’Association canadienne des foreurs de pétrole prévoit une baisse de 41 % du forage en 2015 et une perte de 23 000 emplois.

En Atlantique, on s’attend à une baisse de l’exode vers l’Alberta et au retour de travailleurs migrants. « Ce sera un bénéfice pour nos entreprises qui cherchent des techniciens, explique la DG du Conseil de développement du Nouveau-Brunswick, Anne Hébert. Mais accepteront-ils les salaires d’ici, ou demanderont-ils les salaires de l’Ouest ?

« Pour les travailleurs moins qualifiés, reconnaît-elle, il est moins certain qu’ils vont trouver de l’emploi. Certains gros projets s’annoncent. Ça dépendra des gouvernements. Le fédéral veut encourager le secteur manufacturier et investira dans les grandes provinces pour avoir un impact national. Mais on n’est pas nécessairement dans ces secteurs-là. »

Anne Hébert estime que le Nouveau-Brunswick a mis trop d’accent sur l’économie du savoir afin de créer des emplois pour les jeunes, mais délaisse les secteurs traditionnels comme les mines et les forêts.

« L’approche one size fits all ne fonctionne pas. Le fédéral a dépensé beaucoup dans le secteur automobile en Ontario, mais pas autant pour le développement forestier chez nous. On oublie que les forêts rapportent beaucoup plus à notre province, proportionnellement, que l’industrie de l’automobile à l’Ontario. »

La chute du prix du pétrole aura-t-elle un effet sur l’élection fédérale de 2015 ? « En période d’incertitude, lorsque les gens ont peur, ils votent pour les conservateurs, craint Dominique Perron. Les gens croient au système, même si ça ne marche pas toujours.

« L’imagination n’est pas au pouvoir, conclut-elle. Encore quatre ans avec les conservateurs, ça risque de détruire le Canada ». Le gouvernement a remis jusqu’en avril le dépôt du prochain budget.