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le Lundi 15 Décembre 2014 11:01 Société

Sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle (Deuxième partie)

Sylvie Binette prend une pause sur le Chemin en Galice. Photo : fournie.
Sylvie Binette prend une pause sur le Chemin en Galice. Photo : fournie.

Sylvie Binette

Devant moi, 800 km, sac au dos avec toute une expérience à vivre sur ce Chemin de Compostelle. J’y marche… en pèlerin moderne… Ultreïa! Ultreïa! Plus loin et plus haut, toujours au-delà. Nuitées en auberge de pèlerins où les dortoirs peuvent abriter jusqu’à 200 pèlerins par chambre. Imaginez juste un peu la nuitée et le sommeil que vous y prendrez ou manquerez! La cause : ronflements, flatulences, vesses, pèlerins qui entrent tard la nuit ou qui partent très tôt le matin, froissement des sacs de plastique continu, iPod allumés, alarmes qui sonnent et chaleur suffocante d’un dortoir logeant cinquante personnes ou plus… sans fenêtres. Eh oui, l’endroit idéal pour les puces de lit, préoccupation continue des pèlerins.

Sylvie Binette prend une pause sur le Chemin en Galice. Photo : fournie.

Sylvie Binette prend une pause sur le Chemin en Galice. Photo : fournie.

Devant moi, 800 km de paysages remplis de montagnes, villages hispaniques, d’églises romaines et gothiques, de ponts de toutes sortes et de meseta (prairies comparables à celles du Canada, qu’on longe pour six jours sous un 27 degrés Celcius). Devant moi, marcher des kilomètres et des kilomètres le long des routes, des zones industrielles ou encore dans les majestueuses forêts humides de la Galice, débordantes d’eucalyptus, là où il pleut 300 jours par année et où on se croirait en Irlande tellement tout est vert. Vous vous demandez peut-être ce que je pouvais trouver de si spécial dans tout cela. J’avoue que moi aussi je me le suis demandé à l’occasion.

Sans trop savoir, j’avançais. J’avançais pour le plaisir que j’avais à marcher, pour le temps qui se déroulait au ralenti et qui me permettait d’observer et d’apprécier ce qui se posait sur mon chemin au même moment où je marchais. J’avançais pour le plaisir de nouer des amitiés avec des citoyens de la terre. J’avançais, car j’aimais partager un bout du Chemin en compagnie de pèlerins et pouvoir les quitter sans avoir de culpabilité. J’avançais, car je sentais l’esprit du pèlerinage tout au long du Chemin, que ce soit dans les villes, à travers la camaraderie qui se développait, dans la façon d’être, de vivre simplement et pleinement. J’avançais, car je découvrais la gitane en moi, longuement assoupie par son rôle de mère responsable. J’avançais, parce que comme pèlerin on avance tous vers Santiago de Compostela, suivant ces étoiles et répétant l’histoire de centaines de milliers de pèlerins.

Au fur et à mesure que j’avançais, le Chemin me donnait des cadeaux, des surprises et des leçons sans même que je les cherche. En voici quelques-unes :
1) Pas besoin de courir dans la vie. Marche donc à un rythme raisonnable et boit beaucoup d’eau et surtout, écoute ton corps. La tendance de vouloir toujours performer et de vouloir couvrir le plus de kilomètres possibles en une journée, de voir ce Chemin comme un marathon nous réserve des surprises.

2) Pas besoin de toujours porter les fardeaux sur nos épaules, marcher librement sans remords ni culpabilité, sans se sentir obligé de… est bien acceptable. À la montée vers la Croix de fer où j’allais déposer mes roches et y faire des prières, j’y suis allée sans sac afin de donner une chance à ma cheville souffrant alors d’une tendinite, et de me permettre de pouvoir cheminer les 46 kilomètres qui allaient m’amener à ce lieu. Ce fut pour moi une image paradoxale où j’ai réalisé que je n’avais pas besoin de souffrir pour me rendre à la Croix.

3) Fais confiance à ce qui arrive, tout arrive au bon moment. Je l’ai vécu lorsqu’un pèlerin avec lequel je marchais depuis deux jours avait peine à avancer à cause lui aussi d’une tendinite, et que par coïncidence un physiothérapeute italien débordant de spiritualité se pointa, lui massa les pieds, le corps et marcha avec lui durant deux jours. Ce fût ce dont il avait de besoin afin de compléter son Chemin.

4) Il est parfois nécessaire de démontrer sa détresse. Cela apporte aide et compassion. Quand on est bâtie comme je le suis, qu’on élève un enfant seule et que l’on assume toutes les responsabilités d’une famille, on apprend à cacher sa détresse. L’occasion de la montrer m’a permis de voir que les gens qui nous entourent ne peuvent nous aider que si on exprime notre détresse.

5) On a beau tout planifier jusqu’aux oreilles tant qu’on veut, mais la vie, le Chemin nous réservent des surprises. L’important c’est la résilience, la façon avec laquelle on peut rajuster le tir.

6) Tout autour de nous, il y a de la beauté, il suffit d’ouvrir les yeux et d’y être sensible.

7) Plus je vieillis, plus j’avance sur le Chemin, plus je me défais de mon écorce, de ma carapace.

Arrivée à Santiago, c’est une remontée d’émotions qui se manifestait. Réaliser la grandeur de cette expérience; émotion partagée avec ceux et celles dont j’ai croisé le Chemin. Une expérience qui restera à tout jamais gravée dans mon cœur. Et comme dirait Paulo Coelho, « Ce que j’ai fait n’est pas un exploit, j’ai juste franchi ma montagne… » Je me sens maintenant guerrière de la Lumière. Je vous souhaite à tous de vivre le Chemin au moins une fois dans votre vie et de franchir votre montagne. Ultreïa!

Sylvie Binette se passionne pour les histoires, les récits et le vécu des gens qu’elles rencontrent sur son Chemin. Guerrière de la Lumière, elle croit en un monde meilleur par le partage des idées, des cultures et du quotidien.

Vous pouvez la suivre sur son blogue à : www.sylviebinetteenpelerinage.over-blog.com