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le Vendredi 5 Décembre 2014 8:05 Société

Sur le Chemin de Saint-Jacques de Compostelle (Première partie)

Des pèlerins sur le Chemin. Photo : Sylvie Binette.
Des pèlerins sur le Chemin. Photo : Sylvie Binette.

Sylvie Binette

Sac au dos, bottes aux pieds et guide en main. Prête pour les 800 kilomètres de marche du Chemin de Compostelle par la route du Camino Francés. Ce qui est à venir, ce que le Chemin a à m’offrir reste un mystère. Il suffit de garder l’esprit ouvert sachant que le guide à lui seul ne sait rendre justice au Chemin; il n’y a aucun Chemin pareil.

Des pèlerins sur le Chemin. Photo : Sylvie Binette.

Des pèlerins sur le Chemin. Photo : Sylvie Binette.

On marche le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle pour différentes raisons : religieuse, spirituelle, parce que l’on aime marcher, parce qu’on veut visiter un nouveau pays et y découvrir sa culture, parce que l’on veut marcher dans les pas de milliers de pèlerins qui l’ont arpenté depuis des milliers d’années, parce que l’on veut oublier un amour perdu, parce que l’on veut trouver son chemin dans la vie, parce que l’on veut guérir une blessure profonde qu’a laissé la mort, parce que notre frère s’est tué après avoir tué un ami, parce que l’on ne sait pas si on devrait être prêtre ou se marier, parce que l’on veut donner un renouveau à notre couple, parce que la maladie s’est fait notre compagne et que l’alarme a sonné, parce que l’on devra faire son service militaire pendant deux ans, peu importe si on est un gars ou une fille, et j’en passe. Pour ma part, c’est l’envie de redécouvrir la source de ce qui me nourrit qui est la raison de ce pèlerinage. Retrouver ce qui me permet de m’ébahir devant un soleil levant, une aurore qui danse, une lune qui brille, les sentiments, joies et expériences apportées par Xavier que je n’aurais pas vécues sans lui, l’amour sans fin de mes parents, la beauté d’une architecture grandiose, la neige qui glisse sous mes skis, l’amitié et la compassion des amies, les joies et plaisirs apportés par la grande famille. Allais-je le trouver sur le Chemin? Ce que j’allais découvrir, je n’en avais aucune idée.

Le Chemin est un pèlerinage chrétien né de la découverte d’un tombeau qui aurait appartenu à Saint-Jacques en Galice (Espagne) vers l’an 800. L’ermite Pelagius aurait eu une révélation dans son sommeil et aurait été guidé par une étoile jusqu’au tombeau de Saint-Jacques, d’où l’étymologie pour Compostelle Campus Stellae ou champ d’étoiles. À la suite de cette découverte, l’Église déclare qu’il s’agissait bien de la dépouille de Saint-Jacques, premier apôtre martyr de la chrétienté. Des écrits témoignent que Saint-Jacques aurait quitté le Proche-Orient pour la péninsule ibérique en Occident au 1er siècle afin d’aller prêcher la parole du Christ, et ce, sans succès. De retour en Palestine, il a été décapité par Hérode qui ordonna sa mort. Ses disciples transportèrent alors sa dépouille vers le Cap Finistère, le bout de la Terre situé dans la péninsule ibérique. La reine Lugia conspire avec les Romains alors au Cap Finistère, afin de détruire la dépouille de Saint-Jacques et celles de ses disciples, mais ces derniers réussissent à échapper aux Romains en passant sur le pont de la rivière Timbre, qui selon ce qu’on raconte, se serait écrasé juste après leur passage, leur permettant de se rendre jusqu’à Santiago sains et saufs et y déposèrent la dépouille de Saint-Jacques. Cette période maque donc le début du pèlerinage.

Sylvie et la statue de pèlerin devant la Cathédrale de Burgos. Photo : fournie.

Sylvie et la statue de pèlerin devant la Cathédrale de Burgos. Photo : fournie.

Les pèlerins venaient de partout en Europe, comme aujourd’hui d’ailleurs, à la différence que maintenant les gens du monde entier y viennent. Par contre, on dit des anciens pèlerins qu’ils marchaient jusqu’à cinquante kilomètres par jour. Rien à voir avec les distances que l’on parcourt de nos jours. Sans Gore-Tex, ni sac à dos et bottes de marche, les pèlerins marchaient vers Santiago de Compostelle pour ensuite se diriger vers le Cap Finestère afin d’y brûler leurs vêtements avant de rebrousser chemin et rentrer au bercail. Il n’y avait ni bus ni avions pour le retour. Le pèlerinage se faisait dans la plupart des cas à l’automne et le retour et bien après cela. Vous pouvez donc imaginer la température. C’est à la Cathédrale de Santiago durant la messe des pèlerins que la cérémonie prenait toute son ampleur. Le Botafumeiro, encensoir majestueux et gigantesque, vacillait d’un côté à l’autre de l’église à une vitesse allant jusqu’à 60 kilomètres à l’heure afin de purifier, mais surtout désinfecter les pèlerins qui avait marché, dormi, transpiré, jour après jour dans les mêmes vêtements faits de laine, de coton et de lin aux odeurs bien conservées. Et de nos jours, ce Botafumeiro, on le fait encore vaciller.

Mon pèlerinage, il commence le 1er octobre à Saint-Jean-Pied-de-Port dans les Pyrénées en France. J’emprunterai le Camino Francés, l’original, le plus connu et fréquenté depuis les temps. Certains pèlerins ont déjà huit cents kilomètres ou moins d’avance lorsqu’ils arrivent à Saint-Jean, car ils ont commencé à Le Puy-en-Vezay, Tour ou Arles. Les Pyrénées, la montée, le Pays basque du côté de la France et de l’Espagne révèlent des paysages où bergers, moutons et chevaux partagent les prés des montagnes, où les petits villages resplendissent de couleurs par les fleurs qui garnissent les fenêtres des maisons et où le béret noir coiffe encore la tête de la plupart des hommes.

Puis on longe le nord de l’Espagne pour enfin tomber sur la route romaine qui menait aux mines d’or de la Galice jusqu’à Rome. Route empruntée par Ceasar Augustus, par les Visigoths de la Gaule qu’on qualifiait de barbares, par les Maures (noms donnés aux fondateurs arabes et berbères du Maroc), par les chrétiens ainsi que par Charlemagne. Les traces de toutes ces influences sont évidentes dans l’architecture des églises et parmi les nombreux sites archéologues et leurs artefacts.

Mêlé à tout cela, un site du berceau de notre civilisation à Atapuerca où on y trouve la première évidence de l’Homo antecessor en Europe remontant à 900 000 ans, bien avant l’arrivée de l’Homo sapiens et l’homme de Neandertal.

Je marche et ressens sous mes pieds toute cette histoire. Se pourrait-il que je marche où les ancêtres de mes ancêtres auraient franchi ce sol? Une chose est certaine, je marche là où nombre de pèlerins ont posé le même geste pour des centaines d’années. Je marche là où les Chevaliers du Temple ont fait trotter leurs chevaux, ont acheminé leurs rites d’initiation gnostiques et ont brandi leurs épées afin d’assurer la sécurité des pèlerins. Je marche là où les Hospitaliers de Saint-Jean, les frères Franciscains, les sœurs Clarisses et Bénédictines ont ouvert leurs portes aux pèlerins soir après soir. Je marche là où les Romains ont piétiné le sol vers les riches mines d’or au deuxième siècle. J’y marche… en pèlerin moderne… Ultreïa! Ultreïa! Plus loin et plus haut, toujours au-delà.

Sylvie Binette se passionne pour les histoires, les récits et le vécu des gens qu’elles rencontrent sur son Chemin. Guerrière de la Lumière, elle croit en un monde meilleur par le partage des idées, des cultures et du quotidien.

Vous pouvez la suivre sur son blogue à www.sylviebinetteenpelerinage.over-blog.com