Construire son identité autochtone lorsqu’on est descendant de femmes ayant perdu leur statut d’Indienne en raison de leur mariage avec un non-Indien n’est pas chose facile.
Grâce à la lutte courageuse de femmes de Premières nations engagées, une Franco-Yukonnaise peut aujourd’hui faire valoir légalement son identité autochtone qui avait été retirée à sa grand-mère trois générations plus tôt.
À quelques jours de la Journée nationale des Autochtones, elle nous confie son histoire.
« Je sais que ma grand-mère serait heureuse de me voir enfin avoir accès à mon statut autochtone. C’est l’aboutissement d’un long travail », souligne Monique Levesque, trouvant le temps de montrer entre deux questions d’entrevue, sa toute nouvelle carte de statut indien obtenue en janvier dernier. « Ma grand-mère Corinne Sioui, fille de chef huron-wendat au Québec, avait quitté la réserve pour marier mon grand-père qui était un Blanc. En prenant cette décision, elle perdait tous ses droits, ce geste étant considéré comme une honte. Pourtant, ses frères qui ont marié des femmes blanches ont non seulement rien perdu, mais leurs épouses ont gagné tous les droits qu’on enlevait à ma grand-mère », ajoute-t-elle.
Cette histoire n’est pas unique. Elle est présente d’un bout à l’autre au pays.
Avant 1985, une femme indienne qui épousait un non-Indien perdait son statut d’Indienne que lui conférait la Loi sur les Indiens. Par contre, un Indien inscrit qui épousait une non-Indienne gardait son statut, sans compter que la Loi octroyait le statut d’Indienne à cette dernière.
En 1985, la Loi modifiant la Loi sur les Indiens mettait fin à cette forme de discrimination… ou presque.
Car Sharon McIvor, de la Première nation Lower Nicola Valley en Colombie-Britannique, à la suite de cette décision a eu à l’époque la surprise d’apprendre dans les mois qui ont suivi la modification, que la fille d’une Indienne et d’un non-Indien pouvait obtenir ce statut, mais pas ses enfants! C’est alors qu’a commencé sa longue bataille devant les tribunaux.
Plus de vingt ans plus tard, soit en 2007, la Cour suprême de la Colombie-Britannique convenait avec Sharon McIvor que les dispositions de la Loi sur les Indiens de 1985 contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés en étant discriminatoires sur les plans du genre et du mariage.
À la suite de cette décision, le projet de loi C-3, la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, est entrée en vigueur le 31 janvier 2011.
Cette décision fait en sorte que les petits-enfants admissibles des femmes qui ont perdu leur statut d’Indienne en raison de leur mariage avec un non‑Indien sont maintenant admissibles à l’inscription du statut d’Indien.
« Cette décision me permet aujourd’hui de me rapprocher ou de me reconnecter concrètement à mon héritage huron-wendat. Je peux maintenant prendre part aux élections du chef et des sous-chefs des différentes familles et recevoir toute l’information du village huron », explique Monique Levesque. « Mais avec la Loi C-3, tout s’arrête à moi. Mes enfants n’y ont pas droit », précise-t-elle.
Recoller les morceaux
En étant rejetés du village huron, les descendants de Corinne Sioui ont eu très peu de contact avec la famille maternelle. Tout le transfert culturel reposait sur les épaules d’une femme qui avait été rejetée par cette même culture.
« Ma grand-mère ne parlait pas beaucoup. Elle était sévère et calme à la fois. On l’appelait la sorcière, car elle connaissait le secret des plantes pour guérir les gens. En arrivant au Yukon, je la retrouvais dans les yeux des femmes aînées autochtones, c’était inattendu et troublant », confie Monique Levesque qui avait 8 ans quand sa grand-mère est décédée.
L’an dernier, Pauline Frost, athlète gwinch’in de Old Crow, invitait Monique Levesque à se joindre à elle pour la course River Quest de 715 km sur le fleuve Yukon entre Whitehorse et Dawson. C’est ainsi que les deux femmes dont l’équipe portait le nom Yahndawa’tzun (combinaison des mots rivière en huron et rat en langue gwich’in) ont pu participer à l’événement et se classer en 3e place.
La course coïncidant avec les célébrations entourant la Journée nationale des Autochtones revêt toujours une signification particulière pour Monique Levesque.
« Pauline et moi avons fait une bénédiction autochtone de notre canoë avant notre départ où j’ai pu honorer ma grand-mère. On a fait brûler des herbes pour inviter les esprits de nos ancêtres à participer à notre voyage et protéger notre parcours », explique-t-elle. « Aujourd’hui, je peux voir que ma grand-mère et son identité amérindienne ont eu un grand impact sur ma façon de voir les choses. Lorsque je retourne au village huron, alors j’aime reprendre contact avec ma famille Sioui, et quand j’ai besoin de retourner aux sources, c’est vers ma grand-mère que mes souvenirs me transportent », dit-elle en rangeant sa nouvelle carte où souvenirs et identité s’entremêlent.