S’il est devenu normal de voir surgir quelques fois par année de nouvelles découvertes qui ajoutent des branches à l’arbre généalogique de nos lointains ancêtres, 2023 s’est démarquée sur un plan : des comportements que l’on ne peut que qualifier d’artistiques semblent avoir émergé bien plus tôt que ce qui était admis, et pas seulement chez l’Homo sapiens.
De fait, déjà en 2022, la grotte d’Altamira, en Espagne, occupée il y a entre 36 000 et 14 000 ans, avait révélé que ses plus anciennes peintures sur les parois ne pouvaient avoir été faites que par des Néandertaliens, plus anciens occupants des lieux. Mais cette année, c’est la grotte de la Roche-Cotard en France, près de Tours, qui a confirmé que des dessins faits avec les doigts étaient vieux d’au moins 57 000 ans — soit plusieurs milliers d’années avant que les Homo sapiens n’arrivent dans la région.
Certaines découvertes en Espagne ont suggéré ces dernières années des dates plus anciennes encore — quoiqu’elles ne fassent pas l’unanimité. Mais une fois admis que l’Homo sapiens n’a pas inventé l’art, pourquoi ne pas remonter plus loin encore dans l’arbre généalogique? Des gravures sur un coquillage vieilles de 500 000 ans, en Indonésie, ont pointé il y a une décennie de cela vers l’Homo erectus. Mais 10 ans plus tard, la question reste non résolue : ces marques ont-elles été laissées par quelqu’un qui tuait le temps avec son silex en attendant sa proie, ou avaient-elles pour lui une signification?
Tout cela ouvre la porte à des questions plus profondes encore sur le moment où le langage a évolué chez nos ancêtres pour décrire des choses qu’ils ne pouvaient voir que dans leur tête. Ou sur le développement de l’imaginaire, c’est-à-dire la capacité à se projeter dans un autre lieu.
Et pour cela, il n’y a pas que le dessin. De minuscules trous percés dans des coquillages il y a plus de 110 000 ans suggèrent qu’ils étaient portés en colliers par des Néandertaliens. Et il y a cette mystérieuse structure en forme d’anneau, découverte en 2016 dans la grotte de Bruniquel, en France : elle est composée de stalagmites arrachées au plancher et elle est vieille de 175 000 ans.
Enfin, en Zambie cette année, deux bouts de bois vieux de 476 000 ans — dont un faisant un mètre et demi de long — et qui semblent avoir été taillés par des outils de pierre de manière à s’attacher l’un à l’autre à un angle de 75 degrés, pourraient être les restes de la plus ancienne maison connue — ou à tout le moins, la plus ancienne construction connue.
En suggérant que nos ancêtres — du moins ceux de cette région — n’étaient peut-être pas exclusivement nomades, ces bouts de bois rappellent que les décodages de génomes préhistoriques des dernières années ne sont pas la fin de l’histoire : l’émergence de comportements et d’un imaginaire ancien sera peut-être révélée par ces découvertes remontant à un passé plus éloigné que prévu.