Le changement climatique peut avoir un impact important sur la production de nourriture et la sécurité alimentaire. Alors que les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues à la combustion des carburants fossiles continuent de croître, les scientifiques annoncent qu’il est possible d’inverser la tendance afin de ne pas dépasser le seuil de +1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Cependant, des actions doivent être mises en œuvre avant 2025.
Au-delà de ce seuil, les risques encourus liés au changement climatique pour la santé, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, la sécurité des personnes et la croissance économique sont sans appel. C’est ce que disent les deuxième et troisième volets d’un récent rapport du GIEC, regroupant l’avis de scientifiques de 195 États différents.
Le Yukon n’échappe pas à ce constat. Le rapport provisoire de 2021 sur l’état de l’environnement du territoire publié par le gouvernement yukonnais observe une augmentation des émissions de GES de 23,7 % entre 2009 et 2019. Toujours selon ce dernier rapport, le bilan carbone est estimé à 18,9 tonnes par habitant du Yukon – émissions en grande partie dues aux transports.
Avec un objectif mondial d’environ 2,2 tonnes par habitant d’ici 2100, il reste du chemin à faire.
Pour réduire le coût énergétique de notre alimentation et proposer une agriculture locale aux pratiques durables, des initiatives citoyennes existent déjà et continuent de se développer au Yukon.
Fleurs, légumes et autres comestibles dans la capitale…
La Société des jardiniers urbains du centre-ville (DUGS) a créé le jardin communautaire de Whitehorse il y a 25 ans. La mission de cette organisation est claire : favoriser la production d’aliments nutritifs et abordables en partageant un sens fort de communauté et de résilience alimentaire.
Pour Sarah Haalboom, membre du conseil d’administration et arrivée au Yukon il y a trois ans, cette initiative lui a ouvert les yeux sur ce qui peut pousser dans le Grand Nord. « Je viens du sud de l’Ontario. J’avais des doutes sur le jardinage au Yukon, mais on peut faire tellement de choses! »
Pour s’impliquer dans le potager communautaire, chaque jardinier et jardinière doit suivre les principes de l’agriculture biologique sur les 80 buttes du jardin. « Bien sûr, on fait pousser une bonne partie de nos produits frais. On pense à l’autonomie alimentaire, mais aussi à la qualité et aux bienfaits d’être dehors et de voir du monde », estime l’adhérente.
Pendant les mois d’été, la Société des jardiniers urbains du centre-ville organise chaque semaine une soirée pour les bénévoles. « Il y a certaines tâches communautaires à effectuer dans le jardin, mais avant cela on propose toujours [une séance de] 10 à 15 minutes pour en apprendre plus sur le compost, la santé du sol, le désherbage, les particularités de notre climat. C’est mieux que d’apprendre tout seul à la maison », poursuit l’intéressée.
Sarah Haalboom évoque une attention grandissante pour les jardins communautaires. « Nous recevons l’intérêt de nombreuses personnes de la région, mais aussi d’organismes qui veulent se lancer dans l’aventure et qui viennent nous voir pour nous demander des conseils, comme l’Association franco-yukonnaise et la Première Nation de White River. »
Le jardin de la verrerie Lumel Studios est un autre exemple de jardin collaboratif. « Nous avons décidé de mettre en place le jardin pour que n’importe qui puisse prendre un peu de la récolte », explique la fondatrice Luann Baker-Johnson. « Tout dans le jardin est mangeable, même les fleurs! […] Un jour, vous faites un bouquet, et le lendemain, vous le mangez en salade – rien ne se perd. »
En échange, chaque personne est invitée à replanter des fleurs, des herbes, des fruits et des légumes pour que le jardin prospère. Une pratique qui semble fonctionner, selon Luann Baker-Johnson. Une partie de la production revient au Gather Café qui partage les lieux avec la verrerie.
« L’année dernière, nous avons mis en place un espace de culture hydroponique grâce à l’entreprise yukonnaise ColdAcre, pour produire davantage de salades. Je pense que chaque organisation et entreprise pourrait faire ça dans leurs locaux à Whitehorse. Les employés récupéreraient la récolte pour se nourrir le midi, et c’est tellement agréable de passer à côté de l’installation! », raconte la créatrice.
… et dans de nombreuses communautés du Yukon!
De nombreux autres jardins communautaires ouverts au public existent sur le territoire. Fern Hansen est la présidente des deux potagers de Dawson Creek, qui contiennent plus de 80 espaces disponibles. « Chaque personne doit gérer son espace, et il faut aussi entretenir les espaces communs. Certains s’impliquent plus que d’autres et ont plusieurs buttes, mais la plupart des gens produisent assez pour leur consommation estivale […] Ici, il y a pas mal de personnes âgées. On partage des conseils et du bon temps. Ce n’est que du bonheur! », témoigne la jardinière.
La belle saison commence, et les plus enthousiastes peuvent contacter les jardins de Whitehorse, de Dawson, de Mount Lorne, d’Old Crow et de Carmacks pour bénéficier des espaces restants.
La sécurité alimentaire, un défi concret
Pour Chris Vainio, responsable des bénévoles de la Banque alimentaire de Whitehorse, la sécurité alimentaire des Yukonnaises et Yukonnais est un véritable enjeu. « Les prix de la vie quotidienne augmentent : l’essence, la nourriture, le logement. On voit de plus en plus de gens revenir nous solliciter et de nouvelles demandes », explique-t-il.
Selon lui, le jardin communautaire géré par les bénévoles du Centre fait partie de la solution. « Nous avons 26 bacs surélevés où nous faisons pousser toutes sortes de légumes. Ça prend du temps à entretenir, mais les bénévoles y prennent du plaisir. Certains ont déjà vécu des épisodes d’insécurité alimentaire, alors c’est une façon de redonner à la communauté », explique-t-il.
Il n’est pas rare pour les jardins communautaires de donner leur surplus aux associations locales. À Dawson Creek, la communauté récolte huit bacs de dons chaque saison, en plus des excédents des autres bacs.
Étendre la saison de production pour manger local toute l’année
Qui dit Grand Nord, dit saison de jardinage plus courte. Ce n’est pourtant pas l’avis de Bob Sharp, retraité et constructeur de serres nordiques. « J’ai construit ma première serre à la fin des années 70. Nous avions un grand potager, mais devions gérer un microclimat. Pour protéger nos légumes et en produire davantage, je me suis donc intéressé aux serres », se souvient-il.
Depuis, Bob Sharp a construit plus d’une centaine de serres à Whitehorse et mis de nombreuses informations à la disposition du public sur ses trois sites Internet (dont growfoodsecurity.weebly.com). Il offre aussi des cours ouverts à tous et à toutes à l’Université du Yukon sur les campus de Whitehorse, de Teslin et de Carmacks.
Grâce à l’utilisation des serres, l’entrepreneur estime qu’il gagne 50 jours de production par an – avec une saison qui commence début mai et qui se termine fin octobre. « Je produis tout ce dont j’ai besoin et je conserve mes légumes pour l’hiver dans une vieille glacière, avec un thermostat et un ventilateur d’ordinateur récupérés à la décharge qui imitent le système de la cave à légumes à moindres coûts énergétiques et financiers.»
Bob Sharp préserve également ses produits en conserve, par déshydratation ou par fermentation. « Chaque tomate produite pendant la saison au Yukon a meilleur goût que celles importées du Mexique, un bilan carbone incomparable et est meilleure pour la santé! », explique l’instructeur.
L’agriculture à l’école et à la ferme pour tout le monde
Sensibiliser les jeunes à une agriculture locale et durable est une priorité pour Sarah Ouellette, maraîchère en agriculture biologique près de Whitehorse. « La nourriture n’arrive pas à l’épicerie par magie, il faut un travail et des ressources pour la produire. C’est important de partager ça avec les jeunes qui visitent la ferme et voient les animaux avec le programme Kids on the Farm. »
La gestion des ressources pour produire les légumes de la francophone est pensée méticuleusement. Ses quelques chèvres et poules produisent le fumier qui enrichit le sol, et l’irrigation est gérée avec un système de goutte-à-goutte dont l’eau provient du lac. « Il n’y a pas de gaspillage. Je fais très attention à ma consommation dans ma vie personnelle, mais aussi professionnelle. Ça fait partie de mes valeurs pour limiter notre impact sur l’environnement. »
Virginie Saspiturry, gestionnaire jeunesse à l’Association franco-yukonnaise (AFY), note un intérêt très marqué des jeunes pour l’environnement. Fortes de ce constat, la jeune femme et sa collègue Océane Hardouin ont lancé l’initiative d’un jardin scolaire avec le soutien du Centre scolaire secondaire communautaire Paul-Émile-Mercier. « Nous offrons des ateliers à deux classes de 7e année. On commence par l’assemblage de bacs en bois. Puis les 40 élèves font les semis avec leur enseignante. »
D’ici la fin de l’année scolaire, d’autres ateliers sont prévus par l’AFY, notamment sur la permaculture, en fonction des financements disponibles et du gel au mois de juin.
« Pendant l’été, il n’y a pas d’élèves à l’école, alors nous lançons une campagne de recrutement de bénévoles francophones pour entretenir le jardin, avec des outils pédagogiques à disposition en français […] En septembre, ce sera l’occasion de célébrer la récolte et de passer un bon moment! », partage Virginie Saspiturry. Lors d’un atelier dédié, tout le monde pourra se partager les fruits du travail et se réunir autour d’une pizza.
« Nous souhaitons savoir s’il y a un intérêt de la population francophone. On est prêt à déposer une demande de financement et mettre en place un très grand jardin scolaire et communautaire. L’année 2022 est expérimentale », affirme la co-initiatrice.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de l’AFY.