le Mercredi 22 janvier 2025
le Jeudi 5 Décembre 2024 7:43 Opinions

Les chocolats magiques

  Photo : Fournie
Photo : Fournie

Encore une fois, Noël s’en vient à grands pas. Comme toujours, pour les grands, il arrive trop vite et pour les enfants, pas assez. Il y a ces quelques semaines précédant le grand soir où l’effervescence monte de quelques crans. Dans le temps, du temps où la religion régnait sur tout, on appelait ça l’avent. C’était une période où on se préparait spirituellement à la naissance du petit Jésus.

Depuis, comme la religion a passablement diminué son influence, cette coutume l’a suivi. Ou plutôt, elle a été modifiée par le nouveau culte qu’on appelle « consommation ». Il y avait fort à parier qu’une firme la transformerait en entreprise lucrative. L’avent est maintenant rendu une occasion pour vendre des boîtes de chocolats.

Pour ma part, je préfère prendre un peu de ci et de ça, et m’arranger pour que la magie persiste autant qu’elle le pourra.

À chaque nouvelle guirlande de lumières qui s’illumine en ville, une nouvelle émotion s’allume. Ça peut être la joie de revoir ces réjouissances revenir habiter nos maisons. Pour bien s’en imprégner, des souvenirs de Noëls passés contribuent à faire revivre cette féérie afin qu’elle se perpétue.

En ce qui concerne les souvenirs, j’en ai beaucoup. Mais pas mon premier Noël. À huit mois, ça aurait été tout un exploit.

Pour savoir, j’aurais dû demander à ma mère. Avant. Bien avant. Parce que maintenant, il est tard. Elle oublie beaucoup.

Pour les années qui suivirent, j’en ai une tonne.

J’en ai tellement qu’ils en viennent à se mêler entre eux. Je me rappelle d’une année en particulier.  Mes oncles chantaient en chœur cette triste chanson country de Paul Brunelle. Pour bien imager la douleur qu’elle exprimait, ils avaient chanté sans leurs dentiers. C’était la même année que mon oncle Rémi s’était déguisé en fée des étoiles pour accompagner le père Noël. Ou était-ce plutôt celle où, après la veillée, incapables de retourner à la maison à cause du rang bloqué par la tempête, nous avons dû aller dormir chez nos cousins préférés pendant trois jours. Quelle pénitence! Hahaha. Ou plutôt : Hohoho.

Pour revenir à l’avent, c’est aussi le temps de l’année où on commence à cuisiner en vue du grand soir.

Là aussi les souvenirs remontent. C’était tellement bon… Bien sûr, il y avait de la tourtière et du ragoût. Mais il faut dire qu’à cette époque, ces mets-là, on en mangeait souvent dans l’année. Ils n’avaient pas encore été proscrits par à peu près tous les organismes de santé qu’on peut imaginer. C’était pour ainsi dire des mets de tous les jours. À la différence près, qu’à Noël, avec la dinde, tous ces mets se retrouvaient dans la même assiette. C’était toujours la joie à la table. Tous vantaient les talents de la grand-mère qui recevait.

« À chaque nouvelle guirlande de lumières qui s’illumine en ville, une nouvelle émotion s’allume. »

Photo : Fournie

Pour nous les enfants, pour être complètement honnête, la palme d’or des recettes à mémère revenait à ses sucreries. Il y avait sa fameuse tarte aux noix. Pas n’importe quelle tarte. La tarte à mémère. Je ne sais pas où elle avait déniché cette recette. Pas sur Google en tout cas. N’allez pas là pour la chercher, elle n’y est toujours pas. C’était, grosso modo, une tarte où entre les deux croûtes coulait une sauce onctueusement sucrée comme les enfants les aiment. Elle avait pris soin d’y ajouter des noix. Pas des noix de Grenoble ou d’ailleurs. Seulement celles qui venaient de nos bois à Ste-Scholastique. Il y avait ces noyers dispersés un peu partout entre les érables centenaires. Nous allions les cueillir à la fin de l’été et les faisions sécher dans les greniers avant de les décortiquer au marteau ou à l’étau. Fallait qu’ils soient fins prêts pour les tartes de Noël.

Ces tartes étaient fantasmagoriques. Cependant, dans la catégorie « denrées pour dents sucrées », ce qui surpassait toutes ses tartes, ses caramels, ses fudges et compagnie étaient (et de loin) ses fameux chocolats. Ahhh. Ces chocolats. Je n’ai aucune idée d’où elle tenait cette recette.

Pour eux non plus, il est inutile de pitonner. Surtout si vous écrivez : « chocolat ». Des milliers de recettes apparaîtront, mais pas celle-là. Pour toute la parenté, c’est tout ce qu’on a comme nom : « chocolats ». On n’a jamais eu besoin d’en dire plus. On savait tous à quoi ça référait.

Ma grand-mère était dotée d’une sagesse dépassant murs et plafonds. Elle avait pris soin de bien transmettre ses recettes de chocolats et de tartes à toutes ses filles (c’était comme ça dans ce temps-là). Et la tradition des chocolats continua ainsi pendant des années. Années semblant destinées à s’associer à tout jamais avec l’éternité.

Mais ici-bas, l’éternité n’est pas un concept imbriqué dans la réalité terrestre.

Les arrière-grands-parents sont partis les premiers. Puis, mon grand-père. C’est quand arriva le tour de ma grand-mère que j’ai finalement compris que la notion d’éphémère s’appliquait à ma famille aussi. Puis ce fut une tante, un oncle, puis d’autres. Mon père. La marche vers d’autres ailleurs changeait de génération. Les chocolats de mémère commencèrent à se troquer pour de vrais chocolats confectionnés dans les vieux pays. Jusqu’à ce que ceux encore vivants en oublient presque leur existence.

Et nous en sommes rendus là. Ma mère, jadis tornade ambulante ne reculant devant rien afin d’améliorer le bien-être des siens et des plus démunis, marche dorénavant d’un pas très hésitant. Cette magicienne des cuissons ne cuisine plus. Et moi, je suis rendu plus vieux que mon grand-père ne l’était. Que reste-t-il de toutes ces années?

Il était bien évident que… viendrait un jour; viendrait un Noël… Je regardais ma mère, qui n’était plus que l’ombre d’elle-même. Je me questionnais sur le temps qui rétrécit en s’évaporant.

Je mêlais souvenirs et pensées. Entre ces pensées tout entremêlées apparurent… les chocolats. Ces fameux chocolats. Ils étaient revenus pour me répondre. Mes papilles se mirent à saliver. Elles aussi se rappelaient. J’ai regardé ma mère. Je lui en ai parlé en me croisant les doigts. Dans ses yeux, questionnant une mémoire beaucoup trop usée, une lueur finit par apparaître. Sans mot dire, elle se dirigea vers ses livres de cuisine. Dieu seul sait comment, mais à travers son cafouillis de notes, émergea cette feuille écrite à la main. Elle contenait la glorieuse recette. Ça valait plus qu’un papyrus égyptien datant des pharaons.

Ce ne fut pas long. Je l’ai d’abord transcrite, photographiée et sauvegardée de toutes les manières inimaginables. Puis, nous nous sommes attelés. Elle me les a fait faire. Pour que je sache et m’en souvienne.

À la deuxième tentative, tard en soirée, le miracle s’est opéré. Mes papilles ont confirmé. Ma mère était contente. Pour elle aussi, les souvenirs remontaient. Si bien qu’elle ne put s’empêcher de faire ce qu’elle avait toujours fait. Elle s’est précipitée sur la boîte pour aller les cacher. Et évidemment, j’ai contesté. Elle n’avait plus le droit de faire ça… comme avant. C’était moi qui les avais confectionnés. Elle s’est contentée de continuer vers le congélateur un grand sourire aux lèvres. Je lui ai lancé : « J’men fous! J’vais les r’trouver! Comme toujours. » Mais ça ma mère le savait. Elle avait l’habitude dans le temps de cacher une boîte bien en vue facile à trouver et une autre impossible à dénicher. Seule manière, selon elle, de s’assurer qu’il en resterait pour Noël.

Quand elle est revenue du congélateur toute fière de son exploit, je l’ai regardé droit dans les yeux et : « D’ailleurs, chère mère, comme je n’avais aucune confiance en toi, je dois t’informer que j’en avais déjà volé. Deux! Et vlan! »

Alors, pour la provoquer, j’en ai pris un deuxième devant elle. Ce qu’ils peuvent être bons! J’étais à le faire fondre dans ma bouche quand apparut le plat original. Un bol en verre ciselé empli à rebords de toutes ces sucreries et ces chocolats. Derrière apparut le sourire bienveillant de mémère. Malgré le repas pour une quarantaine de personnes qu’elle s’affairait à terminer, elle avait du temps pour un regard attendrissant pour un enfant qui se régalait de ses douceurs. Derrière elle apparut mon grand-père qui, comme toujours s’assure que tout son monde y trouve son profit. Et j’entends mes oncles rire très fort pour enterrer les cris des enfants qui se poursuivent dans l’escalier en jouant à un jeu sans règles qui n’existe pas encore.

Toutes ces images apparaissent comme par magie après seulement quelques bouchées. Ces chocolats ramènent le passé au présent. Ils sont magiques.

Alors, cette année j’ai pensé que je pourrais peut-être en faire profiter d’autres. Avant qu’ils ne se perdent à jamais.

Je désire partager cette recette de ma grand-mère, qui a le don de créer la magie, quand consommée au temps des fêtes. La magie ne fonctionne qu’au temps des fêtes. Je vais vous montrer en quelque sorte comment faire de la magie.

Bonne dégustation!

Je n’ai toujours pas d’autre nom que « chocolats. » On pourrait les rebaptiser.

« C’était toujours la joie à la table. Tous vantaient les talents de la grand-mère qui recevait. »

 

« Chocolats magiques ou chocolats à mémère? »

Ingrédients

3 sacs de sucre en poudre

– 2 cuillérées à soupe de sirop de maïs

– ¼ lb de beurre

– 1 boîte de lait Borden

– 1 cuillérée à thé de vanille

– 1 œuf

– 1 boîte de chocolat noir non sucré Baker

– ½ palette de paraffine (NDLR : possibilité de substituer par de l’huile de coco)    

Préparation

Mettre le sucre en poudre dans un grand plat.

Battre l’œuf. Y ajouter la vanille et le lait Borden.

Ajouter le mélange et le beurre au sucre.

Bien mélanger le tout.

Étendre sur une plaque comme une pâte à pizza d’un peu moins d’un pouce d’épaisseur.

Mettre au réfrigérateur ou dans un endroit très froid.

S’assurer que le mélange est très froid et même un peu gelé avant de passer à l’étape suivante.

Fondre le chocolat et la paraffine au bain-marie.

Couper en cubes le mélange sucré étendu sur la plaque.

Tremper les morceaux dans le chocolat liquide à l’aide d’un cure-dent.

Étendre sur un papier ciré.

Quand l’opération est terminée, congeler les chocolats. Ne les faire décongeler qu’avant de servir.

(Note) : Enfants avec mon frère quand nous allions en voler dans le congélateur, nous ne nous sommes jamais plaints qu’ils étaient congelés au moment de les dévorer.